Un remaniement, pour quoi faire .

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À deux mois de la présidentielle, un remaniement est pressenti dans les prochains jours. La Tunisie sera ainsi l’unique pays au monde qui opère un remaniement avant de connaitre les résultats des élections. Un pied-de-nez de Kaïs Saïed qui semble, déjà, assuré de gagner la course présidentielle.

Comme souvent, l’information a commencé à circuler sur les réseaux sociaux sur les pages dites proches du pouvoir. Durant toute la journée du jeudi 8 août, elles annonçaient un prochain remaniement. L’information est finalement confirmée à 23h27 par la présidence de la République. Oui, il y aura bien un remaniement et c’était un des objets de la réunion de Kaïs Saïed avec son tout nouveau chef du gouvernement, Kamel Maddouri.

Il s’agit là d’une surprise qui vient s’ajouter à celle de la veille annonçant le limogeage du chef du gouvernement Ahmed Hachani.

Un remaniement à deux mois de la présidentielle, c’est quelque chose d’inédit dans le monde de la politique. Partout dans le monde, les remaniements sont opérés après les élections et non avant. La raison est toute simple, les gouvernants voient quelles sont les orientations du peuple et, en fonction des votes des citoyens, nomment les ministres dont les tendances vont de pair avec les orientations déclarées dans les urnes.

En limogeant son chef du gouvernement et en annonçant un remaniement, à moins de deux mois de l’élection présidentielle, Kaïs Saïed fait fi de cette règle politique basique et des choix du peuple le 6 octobre prochain.

Il envoie un signal comme s’il était certain du résultat de la présidentielle et qu’il allait être reconduit à la tête du pays pour cinq autres années.

Après avoir éliminé lundi, par des tours de passe-passe, plus d’une dizaine de rivaux à la présidentielle, après avoir nommé mercredi un nouveau chef du gouvernement et après avoir annoncé jeudi un prochain remaniement, Kaïs Saïed semble bien assuré que ceux qui sont encore dans la course ne pourraient pas le battre. À entendre le message présidentiel, le scrutin du 6 octobre serait une simple comédie que l’instance électorale, et quelques comparses, vont jouer pour officialiser un résultat déjà dans la poche.

Du coup, le chef de l’État agit comme si ces élections n’allaient pas avoir lieu et comme si ses adversaires (ce qu’il en reste du moins) n’avaient aucune chance de le battre. Il est en train de vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué. Il n’y a pas de doute, le timing du remaniement annoncé par Kaïs Saïed est des plus suspects. Il vient avant l’heure. Ou bien après. C’est selon.

S’il n’y avait pas cette échéance électorale importante, la plus importante de toutes, le remaniement de l’équipe gouvernementale serait nécessaire, urgent et essentiel.

Les ministres du chef du gouvernement déchu Ahmed Hachani ont des résultats désastreux. Entre les pénuries multiples, les coupures d’eau et d’électricité, l’inflation galopante, la croissance des plus faibles, les investissements au plus bas, on ne peut pas dire qu’ils aient réussi quelque chose.

Renvoyer les médiocres de l’équipe et de leur chef était inévitable pour Kaïs Saïed. Sauf qu’il aurait dû faire ça depuis longtemps. Ahmed Hachani aurait dû être écarté de l’équipe dès la fin du premier trimestre 2024 avec la publication des premiers chiffres de la croissance et de l’inflation qui étaient bien loin de ses promesses annoncées solennellement devant le parlement en novembre 2023. Après des mois à la Kasbah, il était clair que le bonhomme n’était pas fait pour le poste. Il ne maitrisait pas ses dossiers, il n’allait pas sur terrain et il était tout le temps à faire le béni-oui-oui devant le président de la République.

Au lieu de nommer une nouvelle équipe propre à lui, quand il a débarqué à la Kasbah en août 2023, Ahmed Hachani a maintenu l’essentiel des ministres de de sa prédécesseure Najla Bouden, pas plus performante que lui. De prime abord, il était dans la contreperformance.

Ahmed Hachani aurait dû quitter la Kasbah depuis mars 2024, voire avant, et plusieurs de ses ministres auraient dû quitter le gouvernement depuis août 2023.

Certes, Kaïs Saïed a limogé des ministres en cours de route, mais plusieurs parmi eux n’ont pas été remplacés. Idem pour les gouverneurs puisque l’on compte neuf gouvernorats sans gouverneur. Ahmed Hachani n’a même pas été capable de remplir les postes vacants.

En laissant des médiocres à leurs postes bien au-delà des délais raisonnables, en laissant autant de temps des postes vacants de ministres et de gouverneurs, Kaïs Saïed a perdu énormément de temps pour remplacer son chef du gouvernement et ses ministres. Le remaniement d’août 2024 vient donc bien en retard.

Mais quand on sait qu’il est uniquement à deux mois de la présidentielle, il vient bien en avance.

Pourquoi le remaniement doit s’opérer après l’élection et non avant en pleine période électorale ? Si jamais Kaïs Saïed obtient un plébiscite et remporte la présidentielle dès le premier tour, il n’y a pas lieu de changer quoi que ce soit. Cela veut dire que le travail de son gouvernement satisfait le peuple et il est encouragé à aller de l’avant avec la même équipe.

Si, en revanche, il obtient un maigre résultat au premier tour et réussit le second tour avec un très faible écart, cela veut dire qu’il doit opérer quelques changements dans son équipe gouvernementale.

Mais s’il rate sa réélection, il doit dégager de Carthage et ne peut plus nommer qui que ce soit.

Quoi qu’il en soit, le chef de l’État nous met, une énième fois, devant le fait accompli avec des décisions abracadabrantesques et contraires à tout ce qui est enseigné en sciences politiques. En aucun cas, un remaniement ne peut s’effectuer en pareille période. Il n’a aucune idée sur son poids électoral actuel, il ne peut pas agir comme s’il va rester cinq nouvelles années et il ne peut pas donner une feuille de route à son chef du gouvernement, puisque la feuille de route en question ne peut être donnée que par le peuple. Or ce dernier ne peut la donner que le 6 octobre.

Raouf Ben Hédi

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