«Un récit aussi incroyable que glaçant»: la véritable histoire derrière Le Fil, le dernier film de Daniel Auteuil

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RÉCIT – Ce procès et son terrible dénouement font partie des souvenirs de Me Jean-Yves Moyart, alias Maître Mô. Un avocat à la plume sensible, aujourd’hui disparu.

La réalité est toujours plus forte que la fiction. Le dernier film de Daniel Auteuil, Le Fil , n’échappe pas à cette règle. L’acteur y incarne Me Monier, un avocat convaincu de l’innocence de son client. Un personnage fictif, derrière lequel se cachent toutefois les traits de Me Jean-Yves Moyart. Une histoire vraie, racontée en son temps par cet avocat Lillois à la plume sensible, brutalement disparu en 2021, à l’âge de 53 ans.

Nelly Auteuil, la coproductrice, se rappelle très bien de ses premières impressions, en découvrant le texte : « C’était un récit aussi incroyable que glaçant. Je l’avais trouvé particulièrement cinématographique. En le lisant, je voyais les scènes dans ma tête… » Elle le montre à son père Daniel Auteuil, qui a le même coup de cœur, et se lance dans une adaptation. Rien ne permettait pourtant d’imaginer que cette histoire, publiée sur Internet en juin 2011 par un avocat pénaliste inconnu du grand public, ne devienne un jour le chapitre d’un livre, puis un film présenté en séance spéciale au festival de Cannes.

Un conteur d’histoire

Tout commence à Lille, en 2008. Me Jean-Yves Moyart officie comme avocat depuis déjà une quinzaine d’années. « C’était un soutier du pénal, pas une star du barreau, rappelle son ancien ami et avocat pénaliste Éric Morain. Mais il avait un cœur plus grand que le nôtre. Il avait toujours une attention pour chacun, et surtout pour ses clients. Il ne comptait ni ses heures, ni son argent »

La mode est alors aux blogs, ces journaux personnels en ligne. « Beaucoup de monde se mettait à l’écriture, se rappelle l’éditeur Laurent Beccaria. Notamment des personnes comme Me Moyart, qui n’auraient sans doute jamais pensé à écrire autrement. » Sous le pseudonyme de Maître Mô, l’avocat décide de raconter son quotidien dans un blog, en prenant soin de modifier les noms et les dates, afin que ses clients ne soient pas reconnus. Une forme d’exutoire et une façon d’exprimer son ressenti. « Au départ, il ne faisait pas cela pour être lu », estime Éric Morain. Assez vite pourtant, le compteur des visites s’affole. Car l’homme a un vrai talent d’écriture. « Souvent, les avocats pénalistes se mettent en scène ; lui se racontait avec beaucoup d’auto-dérision. Il exprimait ses peurs, ses doutes. Il aimait dire qu’il était un conteur d’histoire », poursuit Morain.

Me Jean-Yves Moyart était avocat pénaliste au barreau de Lille.
Twitter @JYMoyart

Publié pour la première fois en juin 2011, le texte Au Guet-apens, du nom d’un bar au cœur d’une sordide affaire judiciaire, suscite à l’époque des centaines de commentaires en ligne. Le Lillois y raconte l’histoire d’Ahmed, un père de six enfants accusé du meurtre de son épouse Geneviève. Mais les preuves sont minces, voire inexistantes. Il est chargé de le défendre. « C’est une chose de plaider un acquittement (…) ; c’en est une toute autre d’être l’avocat d’un homme dont vous êtes totalement persuadé de l’innocence », écrit «Maître Mô» en préambule, avant de décrire les faits, le procès… et son terrible dénouement. 

« J’ai tout de suite su en le lisant à l’époque, sans même le connaître, que je n’étais pas face à un imposteur. Car seul un vrai avocat peut parler ainsi de ce métier, se souvient Me Eolas, lui aussi avocat pénaliste et blogueur. Il arrivait toujours à voir l’être humain qui se cachait derrière l’horreur des faits. En le lisant, ça avait l’air facile : je peux vous assurer que ce n’est absolument pas le cas. »

Un cortège d’avocats

En novembre 2011, Me Moyart publie un premier recueil, rassemblant plusieurs de ses nouvelles dont Au Guet-apens, aux éditions de la Table Ronde. Un joli succès d’estime : le livre se vend à 4000 exemplaires. D’autres textes suivront sur son blog, ainsi que de nombreux échanges via le réseau social Twitter (aujourd’hui X). Il faut dire que l’homme est également un bon vivant, au sourire aussi large que ses oreilles: « À l’audience, quand il enfilait la robe c’était un moine: sérieux et rigoureux. Mais dehors, c’était plus Rabelais! Le champagne – et le bon, était sa boisson favorite. Le travail fini, c’était “coupette” : sa façon à lui d’évacuer la pression. », se rappelle Me Eolas. 


Jean-Yves Moyart a été une figure pour toute une génération de jeunes avocats

Morgane Boucher

Derrière cette bonhomie, Jean-Yves Moyart est toutefois rattrapé par un cancer, contre lequel il se bat plusieurs années durant. « Il n’en parlait pas, ou très peu. C’est pour cela que sa mort nous a tellement bouleversés » explique Éric Morain. Le Lillois décède en février 2021, à seulement 53 ans, laissant bien malgré lui sa compagne et ses trois enfants, qu’il évoquait parfois avec tendresse dans ses textes. Lors de son enterrement, organisé en période de restrictions sanitaires à cause du Covid, un cortège d’avocats accompagne son cercueil jusqu’au cimetière. « Certains de ses clients étaient même présents, je n’avais jamais vu ça de ma vie ! », témoigne Morgane Boucher, ancienne avocate aujourd’hui directrice juridique. « On l’a beaucoup pleuré, ce qu’il n’aurait pas aimé », ajoute encore avec émotion Éric Morain.

Me Jean-Yves Moyart, un bon vivant au large sourire.
Eric Morain

«Ne pas trahir sa mémoire»

L’histoire, pourtant, ne s’arrête pas là. La suite relève d’une « joyeuse conspiration amicale », selon les mots de Laurent Beccaria. Apprenant que le livre était épuisé, ce-dernier contacte ses proches, et propose de le rééditer avec des inédits*, en reversant l’intégralité des droits à sa famille. « Nous sommes désormais à près de 24.000 exemplaires vendus, ce qui est incroyable! »

Au même moment, Nelly Auteuil appelle, elle aussi, les amis de l’avocat disparu: « Nous cherchions depuis longtemps avec mon père Daniel, un sujet pour travailler ensemble. Nous avons fait relire le scénario aux proches de Jean-Yves Moyart, pour ne pas trahir sa mémoire. » Si le film respecte le cadre de l’histoire, les Auteuil et leurs équipes décident malgré tout de prendre quelques libertés : « L’histoire ne se déroule pas au même endroit et le personnage principal est très différent de la personnalité de Maître Mô, même s’il roule dans le même type de voiture, s’amuse-t-elle. En revanche, nous avons fait le maximum pour respecter les faits juridiques. Pour nous, c’était important que les avocats non plus ne se sentent pas trahis. » De là naît un film, projeté au festival de Cannes en mai 2024, et au cinéma cette semaine.

« J’aime dire qu’au final, c’est tout simplement l’histoire d’un avocat qui a fait un blog », sourit Éric Morain. « Jean-Yves a été une figure pour toute une génération de jeunes avocats dont je fais partie, souligne Morgane Boucher. Il incarnait la noblesse de cette profession. J’espère que cela perdurera. » 

* « Le livre de Maître Mô », 351p., Collection Proche, 8,90€.



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