«Soyez fiers d’être dans ce lycée pro»: à Robert Desnos, l’uniforme fait sa rentrée

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«Vous êtes beaux !» 8 heures sonnent à Crépy-en-Valois (Oise). Pour la première fois, les élèves du lycée professionnel Robert Desnos franchissent la porte de leur établissement en uniforme, sous l’œil ravi d’une surveillante. Leurs mines à eux sont plus circonspectes. Sans doute, il y a le spleen d’une nouvelle rentrée sous la grisaille de septembre. Mais pas seulement. À partir de ce jeudi 5 septembre et pour toute l’année à venir, le polo blanc et le pull bleu marine frappés du logo de l’école sont obligatoires. Le lycée fait partie de la centaine d’établissements volontaires qui expérimentent le port de l’uniforme en cette rentrée 2024. Voilà qui n’emballe pas vraiment les élèves. Même si tous se sont pliés à la règle.

«Lutter contre le harcèlement ? L’uniforme, ça changera rien ! C’est aux gens de changer de mentalité», assène Jason, élève de Terminale Métiers de l’électricité. Le jeune homme de 17 ans est plus habitué aux sweats à capuche qu’aux pulls bleu marine. Pour mieux cacher le sien, il garde son manteau dans le lycée. «C’était surtout pour se faire bien voir du ministre !», rigole-t-il. Le «ministre», c’est Xavier Bertrand. Lundi dernier, le président de la région Hauts-de-France est venu à Crépy-en-Valois distribuer les uniformes aux élèves. Son nom circulait alors pour Matignon, comme celui de Bernard Cazeneuve. D’où la confusion de plusieurs élèves sur ses fonctions.

«Beaucoup d’élèves sont contre l’uniforme, enchaîne Clara, 16 ans, élève en 1re assistance à la gestion des organisations. Ça va nous perturber au début, mais moi je trouve ça plutôt bien : il y a aura moins de discriminations.» Il faut dire que la jeune fille a connu pire. Au printemps dernier, Clara a passé deux semaines au Service national universel (SNU). Là-bas, c’était chaussures, pantalon, polo, t-shirt et pulls. L’uniforme intégral, sur un mode plus militaire.

Un premier élève pénètre dans le lycée Robert Desnos en uniforme, le jeudi 5 septembre 2024 à Crépy-en-Valois (Oise).Eloi PASSOT / Le Figaro Etudiant

Pour cette année d’expérimentation, le maître-mot de la direction est la souplesse. Les élèves qui portent une veste ou un manteau dans les couloirs ne sont pas réprimandés. Pas plus que les deux ou trois lycéennes qui arborent leur polo en croc top dans une tentative immédiate de distinction. Seule règle, l’uniforme doit être visible en classe. Le reste de l’accoutrement, bas du corps et chaussures, est libre. «On aime bien pouvoir porter nos chaussures», sourit Élisa, encouragée par le hochement de tête de ses copines de 2nde logistique. Mais l’adolescente se passerait bien de sa nouvelle tenue. «C’est bien pour ceux qui ont moins les moyens», concède-t-elle.

Gommer les disparités sociales. L’uniforme a en partie été choisi pour cette raison à Robert Desnos. Les 300 élèves qui fréquentent ce lycée sont issus d’horizons assez différents «entre milieux populaires, classe moyenne et CSP-», selon Hugues Roussel, le proviseur. 10% d’entre eux viennent de «Kennedy», le quartier sensible du coin. Les gendarmes viendront même chercher un élève dans la matinée pour l’interroger sur des faits commis en dehors de l’établissement… Au moins, les familles n’auront pas eu besoin de débourser un centime. Chaque lot, qui contient quatre polos blancs, deux sweats et une veste à fermeture éclair bleu marine, a coûté 200 euros. Une somme entièrement prise en charge, à 50% par l’État et à 50% par la région Hauts-de-France.

En classe, les lycéens de Robert Desnos doivent porter leur uniforme. Jeudi 5 septembre 2024 à Crépy-en-Valois (Oise).Eloi PASSOT / Le Figaro Etudiant

C’est encore dans les Hauts-de-France que les tenues ont été fabriquées. L’entreprise Atelier ALN n’a pas été choisie au hasard. Cette société textile de la Somme travaille à l’insertion professionnelle de personnes éloignées du monde du travail. «On valorise une production locale et une entreprise d’insertion, se félicite Isabelle Papon, professeure documentaliste et référente culturelle. Nos élèves endossent du fabriqué en France. Ce sont des valeurs saines !»

«On sait qui est dans quel lycée…»

Si cette dimension locale et subventionnée du projet était susceptible de séduire parents et professeurs, elle intéresse moins les élèves. En revanche, derrière les remarques de façade des adolescents, apparaît une crainte plus profonde. «Je n’ai plus à réfléchir à ma tenue le matin, sauf pour le pantalon, c’est plus simple, admet Kayliah, 17 ans, élève en Terminale logistique. Mais bon, avec l’uniforme on sait qui est dans quel lycée…» «C’est plus une coupe pour les hommes, récrimine aussi Alyssa, 17 ans. J’aurais préféré un pull un peu plus cintré pour les filles.» Puis l’élève de 1re assistance à la gestion des organisations lâche à demi-mot : «J’aime pas que ce soit que nous.»

Car il y a un autre établissement juste à côté : Jean Monnet. À l’heure du déjeuner, les élèves de Robert Desnos retrouvent leurs camarades de ce lycée général à la cantine. Pour certains, être scolarisé en filière professionnelle est vécu comme un complexe d’infériorité. Ils appréhendent ce moment du déjeuner. Dans cette cantine, l’uniforme sera comme une étiquette «Élève de lycée pro». Pour les professeurs du lycée Desnos, l’enjeu est au contraire d’en faire un motif de fierté. «La tenue unique identifie l’élève au lycée, comme la tenue sportive renvoie à un club qu’on aime», suggère Margot Demonchaux, professeure de Maths et de Sciences.

Hugues Roussel, proviseur du lycée Robert Desnos, le jeudi 5 septembre 2024 à Crépy-en-Valois (Oise).Eloi PASSOT / Le Figaro Etudiant

C’est peut-être d’abord pour tordre le cou à ce complexe d’infériorité qu’Hugues Roussel a voulu instaurer l’uniforme. «On a trop dit que le baccalauréat professionnel était une voie de garage. Cela ne me satisfait pas du tout, martèle le chef d’établissement. Ce n’est pas une tare d’être lycéen de Desnos, au contraire. Soyez fiers d’être dans ce lycée pro !» Pascal Matamba enseigne le Français et l’Anglais au lycée depuis plus de vingt ans. «L’objectif est de créer un esprit de corps plus marqué, un sentiment d’appartenance et de fierté», abonde-t-il.

«Très rapidement il y aura plus de questionnements»

Certains professeurs ont encore besoin d’être convaincus. «Je n’étais pas farouchement contre, confie Isabelle Papon. Dans une société qui individualise énormément – origine, genre, orientation sexuelle – on nous demande paradoxalement de créer du commun. Pourquoi ne pas commencer pas l’uniforme ? Mais je me demande si les élèves arriveront à s’en emparer pour en faire une fierté…» Au premier jour de la rentrée, la documentaliste est plutôt satisfaite. Mais il est encore trop tôt pour cirer victoire. «On aura peut-être du recul aux vacances de Toussaint», affirme-t-elle.

Cependant, la majeure partie du corps enseignant a toujours soutenu le projet. Dès le départ, le véritable enjeu a plutôt été d’entraîner les élèves. «L’objectif n’était pas d’emporter leur adhésion, mais de les amener à s’investir dans le projet», souligne Hugues Roussel. L’année dernière, des réunions ont d’abord été organisées avec les lycéens. Beaucoup étaient rebutés par le mot «uniforme». Pour certains, il renvoyait à l’univers très strict du militaire ou du gendarme. Pour d’autres, c’était l’imaginaire du lycée traditionnel britannique, à la Oxford : veste et cravate pour les garçons, chemisier et tailleurs pour les filles. Un style à mille lieues de leurs codes vestimentaires.

Le nouveau logo du lycée est cousu sur la poitrine.Eloi PASSOT / Le Figaro Etudiant
Le logo de la région Hauts-de-France est cousu sur la manche.Eloi PASSOT / Le Figaro Etudiant

Hugues Roussel décide alors de ne plus parler d’«uniforme», mais de «tenue unique». «L’expression correspondait davantage à leur perception de ce qu’ils portent à l’heure actuelle», explique le proviseur. Puis les élèves ont été invités à s’investir. Dans la tenue elle-même. Mais aussi dans le choix du logo qui a été cousu sur les poitrines. «Le polo et le sweat font assez habillé, mais ça reste décontracté, surtout qu’ils gardent le choix du pantalon», souligne Céline Orsan, directrice déléguée aux formations professionnelles et technologiques. Aujourd’hui, une majorité d’élèves peut continuer à se dire opposée à l’uniforme. Il n’empêche que les lycéens se sont approprié le projet en amont. «Très rapidement il y aura même plus de questionnements, veut croire Hugues Roussel. Ça deviendra le fonctionnement normal de l’établissement.»



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