Sa Majesté des mouches: «On ne peut pas considérer comme acquis que notre civilisation sera toujours là»

Partager


LA CASE BD – La dessinatrice néerlandaise Aimée de Jongh adapte le classique de William Golding, à l’occasion du 70e anniversaire de sa parution. « Une métaphore de la cruauté de l’humanité » toujours très actuelle.

Un avion s’écrase sur une île déserte. Les seuls survivants sont des enfants. Que feront-ils de leur liberté, maintenant que les adultes ne sont plus là pour veiller sur eux ? Classique de la littérature anglaise publié en 1954, Sa Majesté de mouches de William Golding n’a jamais cessé de fasciner. En témoignent les adaptations en longs métrages de 1963 et 1990, ainsi qu’une mini-série télévisée de la BBC actuellement en production. De nombreuses œuvres reprennent par ailleurs l’idée de mettre en scène des enfants qui s’affrontent, par exemple Hunger Games, Battle Royale ou Yellowjackets . 

Alors que 2024 marque le 70e anniversaire de la publication de Sa Majesté des mouches, Aimée de Jongh (Jours de sable ) publie vendredi 13 septembre, chez Dargaud, la toute première adaptation en bande dessinée du roman. Il y a onze ans, la dessinatrice néerlandaise avait déjà proposé son projet à la fille et aux petits-enfants de William Golding, les ayants droit, en vain. « Aujourd’hui, il y a davantage de romans graphiques adaptés de la littérature donc peut-être ont-ils eu davantage confiance », s’interroge Aimée de Jongh, qui cependant ne regrette rien : « En 2013, j’étais au début de ma carrière d’autrice, je n’avais pas encore fait de romans graphiques, juste des histoires courtes, des gags. C’est sans doute une bonne chose qu’on m’ait d’abord dit non ! » (rires)

Pour représenter la jungle, la dessinatrice s’est inspirée de photos d’îles du Pacifique mais aussi de ses propres souvenirs d’Indonésie.
Dargaud / Aimée de Jongh

La passion d’Aimée de Jongh pour Sa Majesté des mouches remonte à ses 15 ans, quand elle découvre le roman à l’école. « C’était très visuel, presque comme un film. Les descriptions de l’île étaient super belles ; les sons, les mouvements des arbres, le ciel bleu, le sable jaune… mais aussi le sang très rouge et la violence extrême. » Son adaptation se veut très fidèle : « J’ai beaucoup de respect pour le texte original, c’est un des mes livres préférés, donc je n’avais aucune raison de changer beaucoup de choses. J’ai cependant modifié l’ordre des scènes, utilisé moins de dialogues et davantage d’images. »

Souvent muette ou économe en mots, la bande dessinée s’applique à donner vie à son île d’apparence paradisiaque. Ses plages lumineuses et sa jungle luxuriante s’avèrent magnifiques, en contraste saisissant avec les évènements dramatiques qui s’annoncent… La dessinatrice dresse un parallèle avec Midsommar d’Ari Aster : « C’est génial car c’est un film d’horreur pendant la journée, il y a du soleil tout le temps, des couleurs vibrantes… et pourtant c’est terrifiant. Cela marche très bien. » Les moments purement horrifiques, quand ils arrivent enfin, n’en sont que plus percutants. 

Le vote comme symbole de notre civilisation.
Dargaud / Aimée de Jongh

Bien que les protagonistes soient de jeunes enfants, Sa Majesté des mouches s’adresse plutôt un public d’adolescents ou adultes. La mort violente de certains personnages pourrait choquer les plus jeunes… et leur représentation a d’ailleurs ébranlé l’artiste : « Dessiner la mort d’un enfant, c’est une chose terrifiante… J’espère ne plus jamais avoir à le refaire ! » Une planche de l’album convoque de façon involontaire la tristement célèbre photo du petit Aylan Kurdi, 3 ans, retrouvé mort sur une plage turque en 2015

« Quand je lis les journaux ou que je regarde les informations aujourd’hui, je vois Sa Majesté des mouches partout, confie Aimée de Jongh. Dès qu’ils en ont l’opportunité, les gens tentent de s’entretuer et deviennent les pires versions d’eux-mêmes. Nous devons nous rappeler que nous valons mieux que cela ! Le livre est une métaphore sur la part sombre de l’humanité, sur sa cruauté. On ne peut pas considérer comme acquis que notre civilisation sera toujours là, on doit y travailler ! »

La case BD

La peinture faciale pour se camoufler peut aujourd’hui évoquer l’anonymat des réseaux sociaux.
Dargaud / Aimée de Jongh

Dans Sa Majesté des mouches, le héros Ralph s’oppose à Jack, obsédé par la chasse. Qui dit chasse, dit camouflage. « C’est une scène très célèbre, celle où les enfants se peignent le visage, explique Aimée de Jongh. Pour moi, c’est un moment très important car cela parle de l’anonymat. » Le terme résonne particulièrement avec notre époque : « La mauvaise nature de l’humanité ressort davantage lorsqu’on est anonyme, par exemple sur les réseaux sociaux. Beaucoup de gens changent de nom et écrivent des messages absolument terrifiants, très violents, à des policiers ou des figures publiques, et trouvent que ce n’est pas grave. Dans cette planche, quand les enfants deviennent anonymes, c’est le début de la violence. »


Ces images montrent que tous les enfants font la même chose, qu’ils suivent Jack comme un dictateur

Aimée de Jongh

« Mon type habituel de storytelling, c’est de laisser les images sans texte. On le voit dans les trois premières cases », dans lesquelles les partisans de Jack s’appliquent mutuellement de la peinture sur leur visage, en conservant leurs airs. « Ces images montrent que tous les enfants font la même chose, qu’ils suivent Jack comme un dictateur », analyse la dessinatrice. Les deux cases centrales puis la dernière, en pied, mettent en valeur le leader, dont la froideur du regard illustre sa métamorphose. 

Le cartouche narratif, qui cite directement le texte original de Golding, complète le dispositif et explicite l’état d’esprit de Jack : « Le masque était devenu comme autonome, et Jack se cachait se cachait derrière… / … libéré de toute honte et de toute gêne. » Utilisé avec parcimonie au fil de la BD, ce procédé souligne la filiation avec le matériau original tout en lui rendant hommage : « C’est un très bon exemple de phrase que j’aimais beaucoup, que je voulais utiliser ». D’autres éléments tirés du roman ont parfois été suggérés par les ayants droit, toujours de façon pertinente selon la dessinatrice, qui s’est parfois autorisée certains ajustements : « J’ai partagé cette phrase en deux parties pour des questions de timing, ça marchait mieux ! »

La page suivante (ci-dessous) montre des enfants qui jouent paisiblement dans l’eau. « Quand je fais mes story-boards, je fais toujours les deux planches à côté. C’est intéressant de créer un contraste ou un mouvement entre les deux. » Ici, la perspective et les couleurs changent drastiquement, opposant le monde guerrier de la jungle et le monde innocent de la plage. Pourront-ils continuer à cohabiter ?

Les croquis et l’encrage ont été réalisés de façon traditionnelle, alors que les couleurs sont numériques.
Dargaud / Aimée de Jongh

Sa Majesté des mouches, d’Aimée de Jongh, adapté de William Golding, Dargaud, 352 pages, 35 euros.  

 »
data-script= »https://static.lefigaro.fr/widget-video/short-ttl/video/index.js »
>



#Majesté #des #mouches #peut #pas #considérer #comme #acquis #notre #civilisation #sera #toujours #là

Source link

Home

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Retour en haut