Rencontre avec Fabien Jouves, l'homme qui a réveillé (et secoué) les vins de Cahors

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Avec sa détermination sans faille pour anoblir le terroir de Cahors, Fabien Jouves a, en un peu moins de 20 ans, réussi à donner un sacré coup de fouet à une appellation historique quelque peu endormie.

Comme dans bien d’autres vignobles, l’objectif de produire moins mais mieux est d’actualité à Cahors. Confrontée, plus qu’ailleurs, aux conséquences du dérèglement climatique – à coups d’épisodes dévastateurs de gel et de grêle –, l’appellation du Lot poursuit sa mue. Une révolution silencieuse qui n’est pas sans dommages collatéraux, puisque le syndicat local s’est résolu à une demande d’arrachage de vignes. La surproduction touche aussi Cahors. Le vignoble est donc en pleine restructuration, mais les vins, eux, n’ont pas attendu la crise pour redéfinir leur style et proposer des jus plus fluides et modernes. Une évolution stylistique, d’image aussi, qui doit beaucoup à Fabien Jouves. Pourtant, notre homme est issu du sérail, si l’on peut dire. Des parents viticulteurs, une famille bien enracinée en plein cœur du Quercy. À l’image de sa gamme et de ses étiquettes – nous y reviendrons, inévitablement –, nous avons rencontré un vigneron plein de dualité. Son parcours offre une double lecture sur le devoir d’un jeune épris de fierté familiale à faire prospérer et d’une certitude que Cahors à autre chose à offrir qu’un lien de parenté un peu forcé avec le Bordelais quasi voisin.

2006, Fabien est vingtenaire, il voit ses parents se tuer à la tâche pour livrer leur production au vrac, qui n’a plus rien de la source de revenu confortable qu’elle fut par le passé et qui lui a permis de grandir, non pas dans l’opulence, mais en tout cas «sans jamais avoir faim». «Il y a une grosse crise en 2000 lorsque les négociants ont tiré les prix vers le bas. Je ne voulais pas représenter la génération qui fout tout en l’air», confie-t-il. Car oui, sous ses airs bourrus de vigneron enraciné dans ses vignes du matin au soir, ce barbu à la coupe mulet se prédestinait à faire médecine, après un bac scientifique. Autant dire qu’il ne se prédestinait pas à la vigne. Mais finalement, direction Bordeaux et un BTS viticulture-oenologie. «Et là, miracle, ça me passionne. Je découvre des choses que je ne voyais pas chez mes parents, notamment cette recherche d’expression du terroir. Et j’apprends à aimer le vin, aussi. Je tombe amoureux même», se souvient Fabien Jouves.

«À l’époque c’était la foire aux produits œnologiques»

Le futur vigneron est techniquement apte à faire du vin, mais il décide malgré tout de se perfectionner en passant un diplôme national d’œnologue. Voici venu le temps des premières «vinifs» et du premier millésime, 2006 donc, encore dans la droite lignée familiale, avec une partie encore dédiée au vrac. Mais le vin est différent, forcément, puisqu’il ressemble toujours aux hommes et aux femmes qui le font. «Je travaille avec un peu plus de technique, notamment à la cave. À l’époque c’était la foire aux produits œnologiques».

Soumis à la notation du roi des critiques Robert Parker, le vin des Jouves, père, mère et fils, obtient la meilleure note des cahors (91/100). Le point de départ vers la reconnaissance qui charrie son lot d’ironie, lorsque l’on connaît l’amour de l’omnipotent Parker pour les jus boisés généreusement, l’un des travers connus par Cahors et dont Fabien Jouves a justement souhaité se défaire. Passons. La suite appartient à l’émergence des vins propres, de ceux à qui l’on prête une expression plus fidèle au terroir, mais qui voient des moues réprobatrices apparaître lors du passage devant l’agrément de l’appellation. «Pour les gens de Cahors, mes vins n’étaient pas bons. Je n’étais pas loin de perdre l’appellation. Mais je m’en fichais, j’avais le nom sur mes bouteilles, je les vendais, et la presse me suivait», se souvient-il. Nous sommes alors en 2011 et arrivent les premières vinifications sans soufre, motivées par cette idée de produire des vins de lieu, mais aussi par ses importateurs, ses clients et d’autres vignerons voisins tels Jérémie Illouz, autre référence du nature cadurcien. Les vins changent, gagnent en finesse et s’affranchissent des stéréotypes bien infusés auprès du grand public. «Les vins puissants à Cahors, c’est une typicité qui date de l’après-guerre sous l’influence de Bordeaux, qui nous faisait du bien en nous achetant du vrac, mais qui nous a destitués de notre statut de grande et vieille appellation française», juge Fabien Jouves.

Le malbec, emblème des vins de Cahors

Le malbec, cépage emblématique du cru, est aujourd’hui largement mondialisé et considéré comme une variété produisant des vins sombres et épais. «Le malbec a toujours eu beaucoup de polyphénols. On en a fait un cépage musclé, alors qu’il est digeste, fluide et juteux initialement», explique le vigneron, qui ose l’analogie avec le pinot noir… qui pourrait bien, en effet, avoir un lien de parenté avec le malbec. Selon l’ampélographe Pierre Galet, ses origines seraient à chercher bien plus au nord, dans une certaine Bourgogne. Sans lien de cause à effet, Fabien Jouves a décidé très tôt d’embouteiller ses vins dans des flacons bourguignons, autre pratique largement démocratisée depuis.

En revanche, ne cherchez aucune influence bourguignonne dans ses étiquettes, encore moins dans le nom de ses cuvées, volontairement provocatrices. «Au début des années 2010, je voulais m’ouvrir aux vins de soif, pour des moments de convivialité, d’apéritif… Donc j’ai lancé ma société de négoce. C’était aussi l’opportunité de m’affranchir de Cahors et de mettre à l’honneur les cépages historiquement locaux. D’où la cuvée “You f*** my wine ?!”, que j’ai baptisée ainsi car l’appellation a exclu des cépages locaux (jurançon et valdiguié, ndlr), soi-disant car ils n’étaient pas qualitatifs, pour en autoriser d’autres comme le tannat  ou le merlot  qui n’ont rien à faire chez nous», retrace Fabien Jouves. Il y a donc d’un côté ses vins de négoce, à boire jeunes, sur le fruit… et de l’autre, ses cuvées signature, tout à fait aptes au vieillissement, aux étiquettes plus institutionnelles. Une double identité vertueuse qui sert, bien sûr, à toute une appellation. Malgré ces évolutions qui ruissellent un peu partout à Cahors, Fabien Jouves, né en 1984, n’estime pas être arrivé au bout du chemin. «La marge de progression est énorme, on ne sait pas encore faire du vin. On approche d’une certaine finesse. Mais il faut aller retrouver une floralité, un végétal noble, encore plus de fraîcheur et de minéralité issue des calcaires, avec plus de sels minéraux dans les vins. Tout cela va prendre énormément de temps, ce n’est pas en 20 ans que ça se fait». En tout cas, l’histoire se souviendra que ces vingt dernières années auront posé les bases d’un renouveau à Cahors.

La cuvée «You F*** My Wine ?!»
SDP

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