Quand allons-nous enfin nous attaquer au marché parallèle du tabac ?

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FIGAROVOX/TRIBUNE – En augmentation, le commerce parallèle de tabac est moins documenté que le trafic de stupéfiants, malgré ses conséquences délétères pour notre économie et notre sécurité, déplore l’expert en intelligence économique Pierre d’Herbès, qui préconise une approche volontariste au niveau européen.

Pierre d’Herbès est expert en Intelligence économique.


En France, entre 16 et 20 % des cigarettes vendues seraient issues du marché parallèle, selon les conclusions produites en 2021 par une mission d’information de l’Assemblée nationale. Il s’agit, pour résumer, des cigarettes n’étant pas achetées auprès des buralistes dans les frontières de l’hexagone. L’immense majorité de ce volume vient des achats frontaliers et, de manière bien plus marginale, des achats «à la sauvette» dans l’espace public.

En tout et pour tout, le coût budgétaire global de ce marché parallèle pour la collectivité est estimé à près de cinq milliards d’euros de revenus annuels en perte fiscale, sans compter le coût social lié aux conséquences sanitaires du tabac. Le faible coût des cigarettes acquises sur le marché parallèle maintient en effet captive dans le tabac toute une partie de la population de fumeurs, qui contourne les hausses successives de prix, jugés comme l’un des principaux vecteurs de sortie du tabac.

La cause la plus évidente est le sur approvisionnement des pays limitrophes de la France, à faible fiscalité, organisé par les cigarettiers pour créer un effet d’aubaine auprès des acheteurs. L’achat frontalier représente, aujourd’hui, environ 70 % du volume global du marché parallèle. À titre d’exemple, trois milliards d’unités de cigarettes sont livrées chaque année par les industriels au Luxembourg, pour 600 millions nécessaires à la seule consommation des Luxembourgeois. D’autres pays comme l’Espagne, la Belgique et l’Andorre, du fait de leurs tarifs attractifs, sont tout autant de sources du commerce parallèle de tabac.


La contrebande s’amplifie, et avec elle les pointes de vente informels, points de deals et leur cortège de problématique sécuritaires (agressions, violences entre gangs, etc.), se pose aussi le problème de la contrefaçon.

Pierre d’Herbès

Le phénomène ne se limite pas aux frontières de la France mais se déploie aussi à travers l’Europe et l’Afrique. C’est de cette manière que l’Europe de l’Est et les Balkans sont devenues d’importantes zones de transit de tabac de contrebande. En majorité ce dernier provient du Moyen-Orient et surtout de l’Asie, en particulier la Chine. Certaines usines chinoises, comme celle de la China Tobacco en Roumanie sont d’ailleurs soupçonnées de participer directement à ces trafics, qui visent à abonder de manière illégale ces marchés périphériques avec des «vraies» cigarettes.

Une autre plaque tournante de ces trafics est la Lybie, pays instable et zone grise géopolitique. Elle se situe au croisement des routes de trafic à destination et en provenance de l’Europe. Le circuit commercial est complexe. Il passe par la Grèce et les Balkans, vers la Lybie avant de repartir vers l’Europe via l’Italie ; ou bien vers les pays d’Afrique du Nord, gros consommateurs de cigarettes. Mentionnons aussi la route saharienne, depuis les pays du Sahel. La région est un haut lieu de trafics en tout genre (or, stupéfiants, armes, migrants, etc.) qui profitent aussi aux groupes armés djihadistes. Le tabac est d’ailleurs une de leur rente historique et l’est toujours selon un rapport du Global initiative against transnational organized crime. Les cigarettiers ont, là encore, une part de responsabilité dans les circuits de contrebande du Sahel. Comme en Europe, ils surapprovisionnent les marchés locaux en cigarettes : la marchandise se retrouvant alors rapidement sur les circuits de contrebande.

Alors que la contrebande s’amplifie, et avec elle les pointes de vente informels, points de deals et leur cortège de problématique sécuritaires (agressions, violences entre gangs, etc.), se pose aussi le problème de la contrefaçon. S’il est difficile, selon les forces de l’ordre, de déterminer la part exacte des fausses cigarettes sur le trafic, il est cependant admis qu’il s’agit d’une part marginale.

Il n’en demeure pas moins que le phénomène est pris au sérieux par les autorités, tant ces activités commencent à s’apparenter au trafic de stupéfiant avec ce que cela comporte de conséquences criminogènes. On observe ainsi une logistique intégrée avec des activités de production, de stockage, de convoyage, de blanchiment, etc. En 2024, on comptabilise entre quatre et six usines de contrefaçons démantelées sur le territoire français et 98 dans toute l’Europe ; certaines capables de produire des millions de cigarettes. Le phénomène est à l’évidence en augmentations. En 2022, les douanes françaises saisissaient ainsi 600 tonnes de tabac, puis 521 en 2023, contre 402 en 2021.

Pour l’État français, l’enjeu de la lutte contre le tabac illégal est donc double : maîtriser un nouveau vecteur de criminalité sur son sol et, là encore, combler le manque à gagner fiscal qui s’envole par milliards d’euros sur le marché noir. C’est dans cette optique qu’a été lancé le plan d’action tabac 2023-2025. Il vise à orchestrer une riposte douanière qui devrait permettre une meilleure identification des flux de tabac illicites, une consolidation des moyens technologiques (capteurs, profilage du tabac, équipes de cyber-investigation contre le trafic numérique) mais aussi une augmentation des interventions, qui se sont traduites par les opérations d’envergure nationales Colbert I et II en juin 2023 et mars 2024. Est-ce suffisant ? On constate aujourd’hui que non. Les douanes doivent pouvoir disposer de plus de moyens, notamment en termes d’effectifs, de formation des agents, de moyens technologiques et de capacité d’enquête sur le territoire dont les zones d’entrées des trafics : comme les ports et les aéroports.

D’un point de vue plus structurel, les remontées des opérateurs de terrains sont formelles : l’arsenal répressif doit être durci à l’encontre d’un trafic trop longtemps perçu comme mon dangereux et moins sanctionnable. En outre les douanes doivent pouvoir profiter de plus de synergies avec les forces de polices et de gendarmeries dans le cadre des actions de terrains (opérations coup de poing, répression des vendeurs à la sauvette, etc.).

C’est enfin sur l’enjeu de la traçabilité des produits du tabac -dont le tabac brut- que pourraient se concentrer les efforts, le cœur du réacteur supposé assurer un contrôle sur l’ensemble de la chaîne logistique de la production à la commercialisation par un système infalsifiable de suivi. Sa mise en œuvre, par un acteur aux intérêts jugés trop proches des cigarettiers, est contestée, notamment par le Protocole de l’OMS, qui promeut l’exigence que le système de traçabilité soit entièrement décorrélé et indépendant des intérêts des cigarettiers. À l’approche d’un futur projet de loi de finance (PLF), ce sujet doit faire l’objet d’une réflexion approfondie. D’un point de vue européen, plusieurs pistent pourraient faire l’objet de réflexion, comme l’harmonisation de la fiscalité entre États-membres ou l’abaissement du plafond de «présomption de possession à des fins commerciales» (quatre cartouches) dans l’espace communautaire.



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