« Philosophie clinique », de Gérard Rabinovitch : la chronique « philosophie » de Roger-Pol Droit

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« Philosophie clinique. Au chevet de l’animal parlant », de Gérard Rabinovitch, Hermann, 102 p., 15 €, numérique 10 €.

POUR ÉVITER L’EXTINCTION DES ÊTRES PARLANTS

On l’a su, autrefois. L’humain a pour définition première, et peut-être unique, d’être « animal parlant ». Le langage n’est pas un outil de communication, mais l’élément primordial dans lequel se meuvent, pour le meilleur ou le pire, les vivants « dénaturés » que nous sommes. Tout n’advient d’abord qu’à travers les paroles – créations et savoirs, inventions et transmissions, rires et pleurs, grâces ou effrois. Les mots nourrissent ou tuent, bâtissent ou saccagent. Il faut impérativement en avoir conscience, pour préserver la parole, chacun et ensemble, sous peine que la barbarie ne s’instaure et que l’humanité ne s’évanouisse.

Telles furent, schématiquement, les évidences communes des Anciens. Du côté d’Athènes et de Rome, avec Platon, Aristote et cent autres à leur suite. Du côté de Jérusalem, depuis les premiers penseurs hébreux jusqu’à leurs innombrables commentateurs. Ethique, politique et parole avaient alors partie liée. Ces évidences se sont érodées, ce ne sont plus les nôtres. Et quantité de risques s’ensuivent, dont l’existence et l’intensité, souvent, ne sont même pas perçues.

Alors il faut crier, rappeler l’essentiel, fustiger les oublis, dissiper les confusions… C’est ce que fait, avec force, ce ­petit livre de Gérard Rabinovitch, qui prend, selon les pages, des airs de manifeste, de pamphlet ou de vade-mecum. Car si Philosophie clinique est bref, il est dense et ­intense, à la fois inspiré et étayé, comme un libelle où se condensent travaux et combats d’une vie. Chercheur au CNRS, expert en langages et régimes totalitaires, auteur d’une quinzaine d’ouvrages et de très nombreux articles, directeur de l’Institut européen Emmanuel Levinas, ce penseur pluridisciplinaire vient ici « au chevet de l’animal parlant » pour mettre en garde.

Déshumanisation

A force d’historicisme, de sociologisme, de relativisme, à force d’indifférence à la langue et aux termes justes, à force de négligence envers la responsabilité de tout être parlant, nous risquons de sombrer dans la servitude et la déshumanisation. Gérard Rabinovitch rappelle notamment ce qu’ont bien vu, chacun à sa manière, Victor Klemperer (1881-1960), George Orwell (1903-1950) ou Jean-Pierre Faye : les totalitarismes pervertissent la langue avant de tétaniser les esprits. ­Préserver la liberté, c’est d’abord lutter, jour après jour, obstinément et détail par détail, contre ces forces de mort qui œuvrent insidieusement dans le bruit ­ambiant.

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