«Nous avons besoin d’une vision commune» : entretien croisé avec Gérard Bertrand et Jean-Claude Mas sur le futur du Languedoc

Partager


Jean-Claude Mas et Gérard Bertrand sont tous deux vignerons et négociants. Leur credo : défendre les spécificités des terroirs du Languedoc dans une centaine de pays à travers le monde. Entretien croisé.

Pour les domaines Paul Mas, tout a commencé en 1987 avec les 35 hectares transmis par Paul Mas à son fils, Jean-Claude. Aujourd’hui, des Pyrénées-Orientales à l’Hérault et l’Aude, ce sont 940 hectares en propriété sur tout le territoire languedocien et 1 500 ha de vignobles partenaires. Et un regard tourné à 90 % vers l’international. Tandis que des Pyrénées aux terrasses du Larzac en passant par le littoral méditerranéen, les vins Gérard Bertrand, ce sont 17 propriétés (900 hectares) sur les terroirs les plus emblématiques du LanguedocCorbières-BoutenacLa LivinièreLimouxCabrièresMinervois. Gérard Bertrand, c’est aussi une histoire de famille sur trois générations depuis 1920, et bientôt une quatrième. Mais c’est surtout l’histoire d’un homme parti à la conquête du monde en restant profondément enraciné dans son territoire, ainsi qu’il se raconte dans son nouveau livre, Le Vin multidimensionnel (1). S’entretenir avec Jean-Claude Mas et Gérard Bertrand, c’est écouter deux paroles fortes. L’avenir, l’essor du blanc, le vin orange, les envies des jeunes générations de consommateurs et de viticulteurs, la crise de la surproduction, le bio, mais aussi la nécessité de se réinventer, de communiquer, de développer l’œnotourisme. Autant de thèmes abordés avec passion et sans tabous.

Le Figaro. – Quels seront les signes distinctifs des vins du Languedoc à horizon 2050 ?

Jean-Claude Mas. – Les vins du Languedoc conserveront leur constance dans la qualité et le style. Ce seront des vins gourmands. Nous avons la chance qu’une cinquantaine de cépages produisent de belles choses dès lors qu’on les plante au bon endroit. Nous ne disposons pas d’une seule vallée, comme bien des régions viticoles, mais d’au moins cinq !

Gérard Bertrand. - Il y a cinq ans, je vous aurai assené quelques certitudes. Aujourd’hui, j’ai besoin d’une boule de cristal. Sur le plan structurel, il nous faudra de l’eau. La région Occitanie devra doubler ou tripler le réseau hydraulique régional BRL (qui achemine déjà de l’eau du Rhône jusque dans l’Aude, NDLR) pour irriguer l’ensemble du vignoble. Si l’eau n’est pas un facteur limitant, nous deviendrons la Californie de l’Europe.

Quels sont les atouts du Languedoc pour séduire une nouvelle génération de consommateurs ?

J.-C. M. : Le vin, ce n’est pas le diable. Il contribue au bien-être. Les néo consommateurs aiment ce qui est bon et connaître l’histoire derrière ce qu’ils boivent. Il faut donc faire savoir de façon forte. Cela nécessite de gros budgets de communication qu’il faut agréger et confier à des gens dont c’est le métier.

G. B. : Ici, nous avons la beauté et la puissance des vins de cépages. Au niveau du groupe Gérard Bertrand, nous tâchons d’innover. Nous concevons des rouges à boire frais ; nous faisons 1 million de bouteilles de vin orange ; nous avons également accompagné l’ascension du rosé, proposé des vins non filtrés. Faire toujours pareil, c’est quand même un peu embêtant, non ?

L’image du Languedoc est associée au vin rouge. Or, c’est le blanc qui a aujourd’hui les faveurs du consommateur. Le vignoble doit-il s’adapter à cette demande ?

J.-C. M. : Historiquement, je produis 51 % de rouge. Depuis douze ans, cette part décroît au profit du rosé, avec désormais 32 % de rouge et 18 % de rosé. Je crois malgré tout au pouvoir attractif du rouge. Le danger pour lui, c’est qu’il a davantage été industrialisé par le Nouveau Monde, dans une stratégie trop commerciale. L’équilibre actuel entre ces couleurs fonctionne chez moi. Nous avons des merlots qui embaument le cassis. Ils sont appétissants et je les crois de nature à séduire les néoconsommateurs.

Jean-Claude Mas.
Marie Ormières

G. B. : Nous avons déjà une offre dense en blanc ! En IGP, on peut créer des choses remarquables. En AOC, Picpoul de Pinet est une référence internationale associée aux fruits de mer. Faut-il continuer à planter des blancs ? Tout dépend si les grandes maisons de négoce parviennent à construire des marques puissantes au niveau international.

Voilà un an, le ministère de l’Agriculture a supprimé pour les vins la marque ombrelle Sud de France, créée par la région Occitanie et que de nombreux vignerons apposaient sur leurs bouteilles. Qu’en pensez-vous ?

J.-C. M. : On nous a rayé des millions d’euros d’investissement d’un trait de plume. C’est vraiment malheureux ! C’était une bonne marque qui nous faisait rayonner à l’export.

G. B. : Attention, le match n’est pas encore perdu. Nous sommes pour deux ans encore en période probatoire. Il faut encore se battre car cette marque a donné un souffle international, notamment aux petits producteurs. Elle est fédératrice et permet de mettre en commun des moyens de communication important.

Le Languedoc, comme tous les vignobles, connaît une crise de surproduction. Craignez-vous un arrachage massif ou bien faut-il en passer par là ?

J.-C. M. : Il faut optimiser le vignoble. S’il n’y a pas d’issue économique, il faut passer à autre chose. Je ne parle pas là des vieilles vignes qu’il faut sanctuariser. Sur le vignoble moderne, en revanche, il faut le renouveler, car la matière végétale est souvent très pauvre. Il faut renouveler pour quelque chose de durable mais cela nécessite des investissements. Pensez qu’en moyenne pour des vins vendus entre 4 et 7 euros, notre production de raisin est, à l’hectare, de 30 % inférieure à ce qu’il se fait dans d’autres pays.

G. B. : Il ne faut pas un arrachage massif, mais un arrachage voulu et non subi. Si on arrache trop, cela fragilisera le monde coopératif. Il faut un arrachage accompagné et lié à la replantation. Je suis assez optimiste, car le prix de l’hectare de vigne est plus raisonnable ici que dans d’autres régions, ce qui permet à des jeunes de s’installer.

Avec une trentaine d’AOP et une quinzaine d’IGP, le Languedoc est riche d’une impressionnante diversité de terroirs. Est-ce une force ou une faiblesse ?

J.-C. M. : Pendant trente ans, le Languedoc a cherché sa voie, d’abord par imitation de ce qu’il se faisait de bon ailleurs. Avec le recul, je me dis que c’est normal. Cependant, au fond des Corbières ou au bord de l’étang de Thau, on ne peut pas avoir le même point de vue. Il y a un esprit de paroisse qui n’est malheureusement pas fédérateur. Or, pour peser, nous nous devons d’avoir une vision commune.

G. B. : Les gens sous-estiment ici la beauté parce qu’ils la voient tous les jours. C’est une carte postale permanente. Il n’y a pas de région viticole aussi grande qui présente une telle diversité. Le Languedoc doit devenir une véritable destination œnotouristique. Malheureusement, nous manquons d’hôtels 4 et 5 étoiles et de grands restaurants. Il faut que les gens sachent davantage d’où viennent nos produits.

Vous êtes vigneron, mais aussi négociant, les équilibres entre domaines indépendants et les assembleurs seront-ils toujours les mêmes ?

J.-C. M : Nous vivons un grand bouleversement. À mon sens, les entreprises du vin de demain devront maîtriser les cinq métiers de viticulture, de vinification, d’élevage, de conditionnement et de marketing. On ne peut pas seulement parler de stratégie de production. Ce que l’on fait de bon, il faut avoir les moyens de le faire savoir.


Pour les indépendants souhaitant peser, il faut une ambition qualitative, donc une organisation, et du temps devant soi.

Gérard Bertrand

G. B. : Il y aura une clé de répartition légèrement différents entre des indépendants, la coopération qui se sera davantage rassemblée, et des marques mondiales fortes dont on manque par ailleurs. Pour les indépendants souhaitant peser, il faut une ambition qualitative, donc une organisation, et du temps devant soi, c’est-à-dire 20 ou 30 ans. Les gens disent : « Gérard Bertrand, c’est une boîte qui marche (le groupe réalise 200 millions d’euros de chiffre d’affaires, NDLR) ». Mais j’ai mis vingt-cinq ans pour y gagner de l’argent !

Le bio et la biodynamie, après des années de forte croissance, semblent avoir atteint un plateau. Un retour vers le conventionnel est-il envisageable ?

J.-C. M. : La consommation de bio croît toujours. Le bio, c’est d’abord une philosophie. Ce ne doit pas être un argument de vente. Aussi, ce n’est pas parce qu’on y croit qu’on le vend plus cher ! Moi, j’aime revoir des perdreaux dans mes vignes alors qu’avant, il n’y en avait plus. Après, sans doute faut-il revoir le cahier des charges du bio, car il faut trouver des alternatives au cuivre et au soufre.

G. B. : Cela fait vingt-cinq ans que nous faisons du bio et de la biodynamie. Si, il y a quinze ans, le bio était une clé d’entrée pour certains consommateurs, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Désormais, on n’achète plus du bio parce que c’est bio, mais parce que c’est bon ; avec un rapport qualité-plaisir à la hauteur. Il n’y aura pas de retour en arrière, car le bio doit être la normalité en matière de vin. En ce sens, nous devons montrer la voie à l’ensemble du monde agricole.

Vous avez hérité des terres de vos pères. Comment imaginez-vous le travail de vos successeurs, pourquoi pas de vos enfants ?

J-.C. M. : Le sujet sera ce que mes successeurs en feront. J’ai inculqué, je l’espère, à mes enfants et à ceux qui m’entourent suffisamment de valeurs pour faire perdurer de jolies choses.

G. B. : Pour faire ce métier, il faut avoir la passion, aimer son terroir et son territoire. Si mes enfants veulent m’accompagner, ce sera tant mieux. Il leur faudra porter la flamme plus loin.

(1)« Le Vin multidimensionnel », Éditions Origine Nature, 19 €.



#Nous #avons #besoin #dune #vision #commune #entretien #croisé #avec #Gérard #Bertrand #JeanClaude #Mas #sur #futur #Languedoc

Source link

Home

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Retour en haut