Les vins de dessert sont-ils passés de mode ? Deux stars de la sommellerie ouvrent le débat

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Souvent oubliés sur les cartes contemporaines pour leur taux élevé de sucre résiduel, ces jus complexes méritent-ils d’être remis sur le devant de la scène ? Le Figaro Vin ouvre le débat avec Paz Levinson et Gabriele Del Carlo, deux stars de la sommellerie.

Fin de vacances italiennes pour l’un. Rentrée survoltée pour l’autre. En ce début septembre, Gabriele Del Carlo, le nouveau directeur de la sommellerie Europe Raffles & Orient Express, joue les prolongations dans son pays natal avant de retrouver la clientèle du Royal Monceau, à Paris. De son côté, la chef sommelière du groupe Pic, Paz Levinson, est en pleine préparation de la saison d’automne au restaurant du Beau-Rivage, à Lausanne. Deux styles, mais un même enthousiasme. Qui mieux que ces deux personnalités phares de la haute sommellerie actuelle et des tables étoilées de palaces pour s’exprimer sur les atouts ou handicaps des vins de dessert ? Souvent oubliés sur les cartes contemporaines pour leur taux élevé de sucre résiduel, ces jus complexes méritent-ils d’être remis sur le devant de la scène ? Entretien enflammé.

LE FIGARO. – Quelle est votre définition d’un vin de dessert ?

Gabriele Del Carlo. - Je dirais que ce sont des vins réconfortants où le sucre est mis en avant. Confort, charme et sucre. Joli tableau, non ?

Paz Levinson. - « Vin de dessert » est un terme un peu réducteur. Quand je pense aux vins avec du sucre résiduel, je les associe au dessert, bien sûr, mais pas exclusivement. Surtout en France, où nous avons une extraordinaire variété de fromages avec lesquels ils s’accordent à merveille. Ce sont des vins de table, de gastronomie. Des vins complexes auxquels le sucre offre une façon très particulière d’évoluer dans le temps et énormément de possibilités.

Sont-ils à découvrir ou passés de mode ?

G. D. C. - Leur consommation est en baisse, oui. À mon avis, ce n’est pas une question de mode ou de tendance mais d’hygiène de vie. Les personnes qui vont au restaurant font attention. En particulier celles qui conduisent. Comme ce sont des vins qui arrivent généralement en fin de repas, c’est le verre de trop sur lequel on fait l’impasse.

P. L. - C’est vrai que la cuisine est désormais axée sur la fraîcheur, l’acidité. Mais je regrette que le « sucre bashing » actuel incite le marché, depuis une dizaine d’années, à favoriser les vins secs. C’est tellement dommage ! Je les défends absolument car je crains que l’on finisse par perdre la richesse, la texture et la diversité qu’offrent ces moelleux et liquoreux. Ainsi que celle des vins mutés tel le porto. Des vins très intéressants car fortifiés avec de l’alcool pour stopper leur fermentation. À nous, sommeliers, d’être créatifs, de continuer à les proposer, d’en avoir toujours un prêt à être dégusté. Si nous n’avons plus que des vins secs, des cépages pas mûrs, courts en bouche, on risque de perdre en complexité. On a tendance à oublier la beauté des vins fortifiés du sud de la France, les rivesaltes, les frontignans, les muscats de Lunel, les banyuls. Ces vins doux naturels sont magiques avec le chocolat. Pour autant, le contraste est également sublime avec les fromages. À l’exemple d’un roquefort avec un sauternes. J’ai envie de dire aux vignerons : « Continuez à faire ce que vous faites ! »La disparition de ces vins me désespère car certains plats sont faits pour leur être accordés.

Gabriele Del Carlo, sommelier du Royal Monceau -Raffles Paris.
Ruben Ortiz

Comment les déguster ?

G. D. C. - Comme tous les sommeliers, je suis un maniaque de la température, capable de magnifier un vin ou de le ruiner. Pour les vins de dessert, à cause du sucre, il vaut mieux les déguster frais. Entre 12° et 15°.

P. L. - Je me bats contre un préjugé tenace, y compris parmi les gastronomes ou dans les lycées professionnels, qui veut qu’on associe un dessert très sucré avec un champagne sec. C’est le contraire qu’il faut faire : quand on a du sucre, il faut aller vers le sucre pour chercher l’harmonie et l’équilibre.

Peuvent-ils accompagner la totalité d’un repas, de l’entrée au dessert ?

G. D. C. - Oui et non. Certes, il faut les faire redécouvrir. Ils sont parfaits de temps en temps avec des plats structurés, telle une volaille de Bresse. Avec des crevettes ou des langoustines mayonnaise, l’association d’un sauternes très jeune pas acidulé mais minéral permet de jouer sur la fraîcheur et l’acidité pour un équilibre gustatif très précis. Et certains muscats peuvent faire l’affaire avec des asperges vertes. Mais cela me paraît compliqué de les servir tout au long d’un repas. Car leur grande quantité de sucre résiduel risque de ne pas être très digeste.

P. L. - Justement, la chef Anne-Sophie Pic propose plusieurs plats au printemps et à l’automne qui appellent ces accords. Au printemps, des asperges blanches, avec du caviar et du safran. Nous les servons avec un madère, ce vin du Portugal qui varie beaucoup selon les cépages. Ainsi pour le sercial, dont le taux en sucre résiduel varie de 20 à 50 grammes. Quand il est âgé, son acidité est élevée, il développe des notes de miel qui encensent le safran. Mais il est aussi très minéral car issu d’un terroir volcanique. Avec des asperges, c’est magnifique. Le caviar est également parfait avec un sauternes âgé. Un vin déjà équilibré qui offre une complexité que le vin sec ne permet pas. On a besoin de puissance pour ce type de plat impossible à associer avec un chardonnay. Autre accord, plus automnal : des salsifis, sésame noir, lard paysan. L’association nécessite beaucoup d’attention et j’ai choisi un vin d’Alsace, pour son côté baroque avec la complexité du pinot gris qui développe des notes de truffe.

Avez-vous des favoris ?

G. D. C. - Je suis un grand amateur de porto. Surtout des tawny de 40 ans d’âge, qui se servent facilement au verre. Idéal pour un sommelier car l’oxygénation n’empiète pas sur la qualité et permet, une fois ouverte, de conserver la bouteille. S’agissant de mon pays, l’Italie, les moscato rosa m’intéressent particulièrement pour le côté aromatique du muscat très peu dosé en sucre. Et, bien sûr, en tant que Toscan, j’ai une grande affection pour le vin santo.

P. L. - Les portos sont très intéressants en goût et en texture car il n’y a pas beaucoup de vins rouges sans fermentation malolactique dans le monde. Les portos vintage ont une dimension très pure malgré leurs cinq grammes de sucre par litre.

Des découvertes à nous proposer ?

G. D. C. - En ce moment, il y a une grande demande pour le moscato d’Asti. Avec son faible dosage en alcool (5°) et en sucre, il est très apprécié. Y compris par les adeptes du sans-alcool.

P. L. - Le vin de Shaoxing, en Chine, qui rappelle les nuances noisetées du vin jaune français.



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