Les Sœurs Hilton : un show hilarant et dérangeant

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Créé à Lyon, le spectacle de Christian Hecq et Valérie Lesort raconte la vie des siamoises, ces pauvres sœurs nées en 1908 .

Envoyé spécial à Lyon

Dans Freaks (1932), le célèbre film de Tod Browning, les sœurs Hilton sont en bonne compagnie au côté, monstrueuse parade, d’une jeune fille sans bras qui tient sa fourchette entre ses doigts de pied, d’un homme tronc, d’un charmant couple de nains, d’un homme-limace, d’une femme à barbe, de deux ou trois personnages à tête d’épingle et d’autres curiosités qui déambulent dans un cirque minable, tous tristes phénomènes de foire. 

Les sœurs Hilton sont siamoises et c’est leur vie lamentable que Christian Hecq et Valérie Lesort nous présente, ces jours-ci, au Théâtre les Célestins, à Lyon. Comment ne pas se souvenir de quelques-unes de leurs remarquables mises en scène multimoliérisées : 20.000 Lieues sous les mers, La Mouche, Le Voyage de Gulliver ou encore Le Bourgeois gentilhomme à la Comédie-Française. La vie des sœurs Hilton, on allait voir ce qu’on allait voir. L’on ressentait une manière de frisson en imaginant ce spectacle. L’admiration et la fascination du duo Lesort-Hecq pour l’étrange et le bizarre font notre joie ; leur perfectionnisme artistique en est la meilleure expression. Ce duo excelle dans l’illusion comique. Alors qu’en est-il de la vie de ces pauvres sœurs nées en 1908 .

Deux personnages au visage blanc plâtré, en combinaison rouge (Yann Frisch et Christian Hecq) posent un micro vintage à même le sol. Arrive un chien genre « la voix de son maître », se plante devant le micro et dit au public :« Mesdames et messieurs, bonsoir et bienvenue ! Je me présente : Charlie l’aboyeur, pour vous servir. Tout le personnel et moi-même sommes ravis de vous accueillir pour vous raconter la fabuleuse histoire de Daisy et Violet, les inséparables sœurs Hilton. Comme mon nom l’indique, certes j’aboie excellemment, mais en outre je peux mordre z’également, surtout quand j’entends la sonnerie d’un vilain téléphone portable. Je vous suggère donc de l’éteindre incessamment de suite. » Rires dans la salle.

Le rideau noir se lève sur une scène rouge. Au fond, un castelet au-dessus duquel on devine un musicien (Renaud Crols). Nous sommes sur la piste d’un cirque car le monde n’est qu’un cirque. Alors, musique ! Piano bastringue. Lorsque l’impayable Christian Hecq débarque, vêtu grotesquement (avec la coiffe ridicule) comme une vieille sage-femme anglaise. Nous sommes en février 1908, à Brighton. Une femme, Kate Skinner, accouche dans la douleur et le mot est faible. Elle met bas, une nuit d’orage. Deux sœurs siamoises ! Miséricorde ! Kate Skinner abandonne ses filles. La sage-femme cupide, Mary Hilton, les adopte avec une idée derrière la tête : les exploiter.

Un œil de cyclope creusé dans le castelet nous rappelle que nous sommes tous des voyeurs avides de monstruosités

Lorsque le spectateur aperçoit pour la première fois les sœurs (Violet est interprétée par Valérie Lesort, Dausy par Céline Milliat-Baumgartner), c’est dans un énorme landau (rouge). Elles sont là, babillantes, bonnet de nuit sur le crâne, hochet à la main, effet garanti. La sage-femme entonne une chanson (Christian Hecq sait tout faire !) faisant rimer des choses comme : « Concupiscence, luxure, foufoune et bistouquette !/ Débauche, lascivité, andouille à la crevette !/ À faire cucu panpan, voilà ce qu’on récolte ! / À faire zizi zézette, des monstres monozygotes ! » Le spectacle est construit comme un biopic. Nous suivrons la vie de Daisy et Violet de leur naissance à leur mort en 1969.

Effet bluffant

Les voilà à 7 ans. Comme dans Alice au pays des merveilles (ou plutôt des horreurs), une chaise géante donne l’illusion de l’âge des sœurs (jouées par les deux comédiennes adultes). Hecq prend alors le costume (rouge, toujours) d’un savant fou. Il prétend qu’il peut séparer par une opération les pauvres fillettes rattachées par le bas de la colonne vertébrale. Une intervention qui ne serait pas sans risque. Celui de perdre l’une des sœurs. Arrive un homme tronc (Yann Frisch). Il est comme posé sur une table et jongle. Là encore, l’effet est bluffant. N’oublions pas que la magie fait partie de la panoplie du duo Lesort-Hecq.

Il y aura dans ce show enchâssé de chansons des moments de franche hilarité. Ainsi lorsque Christian Hecq se fait pétomane ou lanceur improvisé de couteaux. Des séquences parfois trop longues (celle du magicien Houdini). Le déclin des sœurs ne tardera à pointer après une sorte d’apothéose à Broadway où elles deviennent des stars. Mais le monde est cruel. Ah, cette scène où Violet se fait culbuter pendant que Daisy, attendant que se passe la chose, essaie de lire un magazine ! Drôle ou terrible ? Les deux. Une chanson résume la scène : « Partir en extase avec une paire de sœurs siamoises. » Si nous approchons à travers les monstres le noyau de l’âme humaine – là où le plus pauvre est le plus riche, là où le plus douloureux est le plus drôle -, nos pleurs sont-ils de rire ? « Il y a une horreur grotesque dans la comédie de la vie et les tragédies semblent se terminer en farce », disait Oscar Wilde. Un œil de cyclope creusé dans le castelet nous rappelle que nous sommes tous des voyeurs avides de monstruosités. Et c’est ainsi que nous avons ri jaune ou rouge par intermittence sans savoir ce qui se passait vraiment dans la tête, cet enfer de quatre sous, de ses pauvres filles mortes dans l’oubli et la misère.


« Les Sœurs Hilton », au Théâtre des Célestins, à Lyon (69), jusqu’au 29 septembre. Au Théâtre des Bouffes du Nord (Paris 10e), du 10 octobre au 3 novembre. Puis en tournée.



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