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« Les Règles du mikado » : la théorie du chaos d’Erri De Luca

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« Les Règles du mikado » (Le regole dello Shangai), d’Erri De Luca, traduit de l’italien par Danièle Valin, Gallimard, « Du monde entier », 160 p., 18 €, numérique 13 €.

Erri De Luca vient d’avoir 74 ans, et, si l’on en croit la liste « Du même auteur » qui accompagne Les Règles du mikado, ce court roman est son quarantième ouvrage. Il y médite, entre autres, sur la vieillesse. « C’est comment d’être vieux ? », demande l’un des protagonistes, une jeune Tzigane, au personnage principal, un vieux campeur solitaire. « C’est quand on te parle et qu’on glisse le mot “encore”. Vous travaillez encore ? Vous campez encore ? » « Encore » est devenu le mot préféré de l’homme : « Si on me demande comment je vais, je réponds : “Encore, je suis encore là.” »

Voici donc Erri De Luca… encore. On retrouve dans ces pages l’admirable concision de style alliée à la sereine hauteur de vue qu’on lui connaît. Rien de prévisible, pourtant, ici. Avec ses sujets de prédi­lection, les questions métaphysiques, le grand écrivain italien s’amuse. Jouant (encore) à surprendre son lecteur avec un, et même deux retournements de taille.

Tout commence comme dans une fable : le vieil homme et la fugitive. Aucun des deux n’a de nom. Elle, c’est une Gitane qui, pour échapper à un mariage arrangé, s’est enfuie de son campement. Lui : un loup solitaire, ancien horloger de profession, qui a établi le sien dans les montagnes italiennes, à la frontière de la Slovénie. Il la recueille, l’héberge sous sa tente, la sauve de son père venu la tuer pour venger l’honneur de son clan. Un dialogue s’installe.

Forcer le destin ?

Elle parle aux ours et lit dans les lignes de la main. Il l’initie au jeu du mikado, l’emmène à vélo vers l’Adriatique et lui fait découvrir la mer. Entre eux, il est question de rationalité et d’instincts, d’engagement ou de retrait. Il est question du temps qui passe et de ce que l’on en fait : faut-il croire en la possibilité de forcer le destin ou vaut-il mieux se satisfaire d’être « un engrenage dans la machine du monde » ?

Ce qui pourrait passer pour un aimable conte philosophique s’arrête là. Elle trouve du travail sur un bateau de pêche. Ils se séparent. Fin du premier acte. Les suivants sont deux coups de théâtre successifs. Et s’il avait caché son jeu ? Et si elle n’avait pas été qui elle prétend être ? « En chaque personne, il existe un double-fond d’arrière-pensées. Pas forcément ­louches, mais aussi idéalistes, religieuses, comme en quête d’un salut », écrit l’auteur.

L’intérêt de ce petit livre, c’est sa forme en trois temps. Par paliers, chaque type d’écriture nous fait pénétrer plus avant dans ce « double-fond d’arrière-pensées ». Ce sont d’abord des dialogues bruts, sans commentaire, comme si Erri De Luca avait posé un enregistreur entre ses personnages et le laissait tourner. Puis vient un carnet, une approche plus intime où l’horloger explique sa passion du mikado – il le voit « comme un chaos à résoudre », un jeu dont il a transposé les ­règles dans son existence : « agir doucement », avec « précision et concentration », sans rien faire bouger d’autre que ce qui est visé. Porter « attention aux moindres mouvements, faire avec intention, sans automatisme ». Enfin, une lettre de la Tzigane vient clore le tout. En le rendant, ce tout, plus inattendu et inextricable encore. Comme si Erri De Luca décidait de semer la pagaille dans le ­mikado de son roman. On termine sur le mystère et l’indécidable. Comme si ce petit texte n’était qu’une illustration métaphorique du beau proverbe yiddish : « L’homme pense, Dieu rit. »

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