Les pieds nus, accessoires de la modernité en danse

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Retrouvez ici tous les épisodes de la série « Une chaussure, une danse ».

On est dans les années 1900. Une femme dans une tunique flottante lève la jambe droite et la dévoile jusqu’au genou. Son pied est curieusement relâché, au diapason d’une énergie légère et mousseuse. Cette posture et cette densité physique si particulière, entre abandon et dynamisme, sont celles d’Isadora Duncan (1877-1927), dont la grâce unique et immédiatement repérable est souvent capturée dans cet élan bondissant.

Celle qui a libéré la danseuse et la femme de tout ce qui serrait et enfermait, du corset aux cheveux tirés, en passant par les chaussons de pointes, ose le pied nu. « Mais tout est nu, chez elle, et on sent la peau et les formes du corps à travers les voiles qui l’enveloppent et qui mettent en évidence sa façon de faire transparaître dans ses gestes le “où vais-je” et “d’où viens-je”, s’exclame l’interprète et pédagogue Amy Swanson, dépositaire de la technique et du répertoire Duncan. Elle s’est révoltée contre les contraintes en réhabilitant d’abord la marche pieds nus, qui va ouvrir la voie à la danse moderne, puis contemporaine. »

Cet enracinement entraîne chez Duncan un travail spécifique. « Il est assez complexe, car les orteils doivent être souples, poursuit Amy Swanson. Au lieu d’aller contre le sol, à la manière de la ballerine classique, il s’agit de descendre, jusqu’à chuter, pour que le mouvement remonte jusqu’au plexus. On lâche et on s’enfonce dans le sable, par exemple, avec une révérence pour la terre, et c’est aussi précieux que merveilleux. La terre accueille le corps qui danse chez Isadora. »

« Précieuse semelle du danseur »

Certains, sous le régime nazi, dans les années 1930, ont qualifié les pieds nus d’« acte pornographique ou révolutionnaire », comme l’évoquait l’artiste et cabarettiste Julia Tardy-Marcus (1905-2002). Ce qui n’a pas empêché un long cortège de chorégraphes explorateurs et émancipateurs, tant du point de vue des thèmes de leurs œuvres que de leur écriture, de se faufiler dans les empreintes d’Isadora Duncan. On y croise Mary Wigman, Martha Graham, Alwin Nikolais et Merce Cunningham, mais encore Pina Bausch, Carolyn Carlson et toute la nouvelle danse française des années 1980 à aujourd’hui.

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« Le pied nu est le lieu du conflit entre les classiques et les modernes, car les artistes ont eu du mal à déshabiller leurs extrémités, souligne Geisha Fontaine, chorégraphe et chercheuse, autrice des 100 mots de la danse (Que sais-je ?, 2018). De façon incroyable, il était même considéré comme décadent, jusque dans les années 1960. » Elle relate cette anecdote cocasse, chroniquée dans un numéro de la revue L’Avant-Scène Ballet/Danse, en 1982. Un directeur de théâtre, choqué par une performance de Merce Cunningham en 1966, le décrivait ainsi : « Il tend en avant son pied nu », puis « allonge le gauche, également nu, et se relève d’un bond, jette les bras au ciel et semble clamer : “J’ai les pieds propres !” »

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