Les destinations imaginaires que l'on rêverait de visiter : la Terre du Milieu

«In a hole in the ground there lived a hobbit» («Dans un trou dans le sol, vivait un hobbit»). En soignant l’incipit du roman Le Hobbit, paru en 1937, le professeur et philologue J.R.R Tolkien posait les premières pierres de l’univers du Seigneur des anneaux, un univers de fiction grandiose où il aura tout ou presque inventé : les espèces, les langues, la mythologie, la politique ; le tout enrobé par une géographie très précise : la Terre du Milieu. Les années passant, les livres de Tolkien ont tourné au mythe moderne tout en s’incrustant durablement dans la pop culture. 

Et cette phrase innocente, qui désigne la Comté – terre des paisibles hobbits, a fini par représenter un nouvel Eden médiéval-fantastique où beaucoup se verraient vivre, loin des tumultes, fracas et pulsions martiales qui agitent le reste de la Terre du Milieu, continent-monde qui est le théâtre des aventures d’Aragorn, Gandalf et Frodon. Là est d’ailleurs tout l’objet du livre : pourquoi un hobbit tranquille partirait-il de son nid douillet pour se frotter aux atrocités d’un monde qui le dépasse ? 

À en croire l’avis de Tolkien, qui s’est exprimé sur la question dans ses correspondances (Lettres, paru chez Christian Bourgois en 2005, traduction de Delphine Martin et Vincent Ferré), il n’est pas si évident pour autant de rattacher telle ou telle région de la Terre du Milieu à notre planète bleue. «En ce qui concerne la forme du monde au Troisième Âge [époque où se déroule l’intrigue du Seigneur des Anneaux, NDLR], j’ai bien peur qu’elle ait été conçue “pour l’histoire” et non suivant la géologie (…) bien que la Comté, par exemple, soit explicitement présentée comme ayant fait partie de cette région», écrit l’auteur en 1955. Douze ans plus tard, il explique à ses enfants dans un autre billet que «l’action de cette histoire se déroule dans le nord-ouest de la Terre du Milieu, à une latitude équivalente à celle des côtes de l’Europe et des rivages du nord de la Méditerranée.». Avant de préciser son calcul : «Si l’on place Hobbitbourg et Fondcombe (comme je le conçois) à peu près à la latitude d’Oxford , alors Minas Tirith, 1000 km plus au sud, se trouve à peu près à celle de Florence ».

Pour Martin Vagneur qui édite la collection Tolkien chez Christian Bourgois, la Terre du Milieu s’apparente à un continent bordé d’une grande façade maritime à l’Ouest. «Par la variété de paysages, de climats et de topographies qu’elle présente, elle est un condensé de l’Europe et d’une partie du Moyen-Orient», explique-t-il. Il y a quelques occurrences précises. Ainsi, l’atmosphère bucolique et pastorale de la Comté évoque l’Angleterre rurale alors que la forêt de Mirkwood fut sans doute inspirée par la Forêt-Noire en Allemagne et les légendes sylvestres germaniques. «Il ne faut pas oublier que Tolkien était fasciné par les cartes, qu’il en dessinait beaucoup lui-même, ajoute M. Vagneur. «Mais aussi que Le Hobbit et Le Seigneur des Anneaux sont avant tout des récits de voyage.» Le sous-titre du premier étant, rappelle-t-il, “L’histoire d’un aller et retour”. «La géographie a un rôle prépondérant dans l’univers de Tolkien, théorise enfin l’éditeur. Autant que les langues, elle lui permet d’asseoir sa cosmogonie ; elle donne sens aux quêtes, aux relations entre les peuples qui sont façonnés par les territoires qu’ils habitent.» 

La Nouvelle-Zélande, terre épique

Les deux trilogies de Peter Jackson au cinéma (2001 – 2014), plus encore que les cartes de Tolkien ou que les dessins d’Alan Lee, ont proposé des images réelles à cet univers extraterrestre. Jusqu’à le réduire à une seule partie du monde, là où furent tournés les six films : la Nouvelle-Zélande. «Jamais un film n’a autant contribué à la promotion touristique d’un pays. Depuis 2001, année du tournage du premier épisode du Seigneur des Anneaux, c’est toute une nation qui adhère aux personnages créés par J.R.R. Tolkien», indique l’agence de voyages Nouvelle-Zélande à la carte (groupe Ultramarina). Et d’ajouter : «Même les services de l’immigration tamponnent les passeports d’un visa estampillé Terre du Milieu»… 

Valérie Bourgeois, cheffe de produit Australie et Nouvelle-Zélande, développe : «il y a vingt ans, ces films ont propulsé la destination Nouvelle-Zélande, qui était auparavant un peu “niche”. Et il est encore courant qu’on nous demande des excursions personnalisées pour retrouver les lieux de tournage». Pour la voyagiste, il est assez logique que Peter Jackson ait choisi son pays de naissance pour filmer la Terre du Milieu : «la Nouvelle-Zélande offre des paysages aussi épiques qu’éclectiques : des grandes plaines, des montagnes enneigées, des fjords, des rivières et des lacs grandioses… En vingt ans, les paysages ont un peu changé mais l’atmosphère reste intacte.» À tel point que sur internet, différents spécialistes amateurs se sont amusés à calquer la carte de la Nouvelle-Zélande avec celle de la Terre du Milieu (voir plus haut, la nôtre). Les connaisseurs reconnaîtront par exemple les plaines du Rohan, et sa capitale Edoras, dans la vallée Rangitata où culmine le mont Sunday. 

Avec la venue des fans, le secteur touristique s’est logiquement adapté pour embrasser cette manne. L’agence Cercle des voyages propose par exemple un séjour baptisé «Sur la route du Seigneur des Anneaux» (19 jours et 15 nuits, à partir de 3650 euros par personne) qui emmènera le voyageur de Wellington – où l’on peut toujours visiter les studios de Peter Jackson – à Matamata (à 2h de route au sud d’Auckland), où se trouve Hobbitbourg, village hobbit construit spécialement pour le tournage des films et laissé sur place. «C’est devenu une excursion phare en Nouvelle-Zélande, que l’on vend très souvent, même aux non-fans !», commente Valérie Bourgeois. «Même si c’est un peu devenu une usine à touristes…» 

Et la France dans tout cela ? 

Plus proche de nous, il est possible de retrouver le temps d’une nuit le confort boisé et verdoyant des hobbits. Le succès des films et de la série a donné des idées à certains propriétaires et les plateformes de réservation en ligne renferment d’hébergements dignes de la Comté, accessibles à la réservation en quelques clics. En 2022, Le Figaro  en avait retenu sept, au Pays de Galle, au Canada et même en France.

La région Auvergne retiendra d’ailleurs qu’en 2015, un jeune cantalien de 17 ans originaire d’Aurillac a tourné une parodie du Seigneur des anneaux, intitulée Le Hobbit du Cantal. Le film fut bien sûr intégralement tourné sur place, et avec les voix officielles des personnages des films de Peter Jackson ! Force est d’y constater que certains panoramas grandioses rappellent fortement la Terre du Milieu, et la Comté en particulier… 

À tel point qu’Elijah Wood (qui interprète Frodon dans la trilogie) a adressé une vidéo au cinéaste en herbe pour le féliciter : «Oh mon Dieu, quel exploit, sur tant de points ! Le Cantal est magnifique, il ressemble à la Terre du milieu (…) C’est vraiment similaire aux paysages de Nouvelle-Zélande. Les montagnes, les champs, les paysages incroyables, vous avez tout.» Pour les fans qui ne se sentent pas prêts à partir au bout du monde pour retrouver les émotions du Seigneur des anneaux, leur prochaine destination de vacances est toute trouvée.  

EN VIDÉO – La bande-annonce du Hobbit du Cantal