« Journal », d’Yves Navarre, édité et précédé d’une biographie par Frédéric Andrau, Séguier, 512 p., 29 €, numérique 20 €.
La maison Séguier a choisi pour devise : « Editeur de curiosités. » La formule est jolie, et semble spécialement adaptée à la publication du Journal, d’Yves Navarre (1940-1994), qui a cette drôle de particularité de proposer deux livres en un : d’une part, un essai biographique signé par Frédéric Andrau ; de l’autre, une sélection des carnets intimes tenus par l’écrivain de 1971 à 1990, quatre ans avant son suicide… Mais qui se souvient de lui ? Ses très nombreux romans et pièces de théâtre semblent bien oubliés, et s’il demeure un auteur culte, un peu daté, c’est surtout pour un certain lectorat homosexuel, fidèle à cette fière figure des anciennes années de combat.
De fait, ce que nous racontent la biographie et le journal d’Yves Navarre, c’est d’abord l’histoire d’une certaine époque, les années 1970-1980, où l’on suit le parcours de l’écrivain mélancolique, élégant fumeur à moustache, qui aime les chats et a quelque chose dans son style d’une prestance un peu classique, mêlée pourtant de provocation, sans effet formel tapageur, d’une fluidité parfois presque transparente. C’est ce lien paradoxal entre un art assez intemporel et une forte empreinte de l’époque qui aiguise la curiosité, et explique peut-être celle de son biographe…
« Ce qui m’a motivé, explique celui-ci au “Monde des livres”, c’est d’abord un sentiment d’urgence : j’ai eu une sorte de révélation, un jour, à Paris, au Jardin d’acclimatation, en me disant que plus personne ne savait que ce lieu était aussi le titre d’un roman dont l’auteur avait été, il n’y a pas si longtemps, une figure littéraire et intellectuelle importante. Je devais me dépêcher de le faire redécouvrir. »
Frédéric Andrau s’est donc intéressé au journal inédit de l’écrivain, ce qui l’a conduit à Montréal : « Yves Navarre est parti à la fin de sa vie au Québec, où il a déposé ses archives, un peu sur un coup de tête. J’y suis allé et j’ai trouvé à la Bibliothèque nationale une quarantaine de boîtes, 80 kilos de papier… Etablir une sélection n’a pas été facile, mais j’ai construit une trame à partir des événements qui me semblaient les plus importants, comme des jalons autour desquels pouvaient s’organiser les fragments. » On identifiera sans peine ces moments-clés, au fil d’un journal qui semble souvent s’obstiner à consigner une attente vouée à demeurer sans terme, presque sans objet, quels que soient les honneurs finalement obtenus.
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