Jeunes ruraux dans les grandes écoles : « J’ai mis du temps à me sentir légitime »

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« Paris, ce n’est pas fait pour nous. » Alors que, lycéenne dans la Nièvre, Salomé Berlioux espérait rejoindre une classe préparatoire parisienne, la jeune femme a essuyé des commentaires décourageants de certains de ses professeurs. « Et globalement, nous étions très peu à envisager de partir plus loin que Dijon ou Montluçon », se souvient-elle. La jeune femme a pourtant persisté dans ses choix, en entrant « par les petites portes » et suivant finalement une scolarité à Sciences Po et à l’Ecole Normale Supérieure.

« Au moment des premiers choix d’orientation, pour les jeunes issus de territoires ruraux, la question se pose : est-ce qu’on va faire un choix de proximité, en fonction de ce qui existe ? Si on s’éloigne, est-on en mesure de le faire d’un point de vue stratégique, financier ou psychologique ? » « Il y a une forme d’autocensure généralisée et intégrée », déplore-t-elle.

En réaction, en 2016, la jeune femme a créé l’association Chemins d’avenirs, qui accompagne des jeunes ayant grandi dans la ruralité, grâce à des programmes de mentorat et une méthodologie pour réfléchir à ses forces, ses faiblesses ou encore ses croyances limitantes. Près de 12 000 d’entre eux ont déjà été suivis de manière individuelle, et l’association agit également pour faire changer le regard sur ces jeunes. Si l’objectif n’est pas de leur faire intégrer une grande école, mais plutôt de réussir à trouver leur voie, une partie d’entre eux s’orientent cependant vers des établissements prestigieux. Qu’ils ne connaissaient pas forcément avant d’être accompagnés par l’association.

« On manque de modèle, de possibilités d’identification »

C’est le cas de Manon Jamet. La jeune femme de 20 ans, également originaire d’un petit village de la Nièvre, est actuellement étudiante en 3e année à Sciences Po Paris. Un parcours qu’elle a découvert grâce à sa marraine chez Chemins d’avenirs, et une de ses enseignantes. « Je ne connaissais absolument pas Sciences Po, je n’en avais jamais entendu parler. On manque de modèle, de possibilités d’identification », estime-t-elle, alors qu’elle rêve depuis l’enfance de devenir commissaire de police. L’association a pu la mettre en relation avec une marraine elle-même en formation pour exercer ce métier. Plusieurs années après, les deux femmes sont toujours en contact.

Les établissements scolaires agissent également pour faciliter l’accès à certaines formations des jeunes issus de la ruralité. Le Réseau ScPo (qui regroupe sept des dix Instituts d’études politiques français), propose un Programme Égalité des Chances et Démocratisation, qui s’inscrit dans la politique des Cordées de la réussite. Objectif : faciliter la connaissance des études dans les IEP à des jeunes qui en sont éloignés, issus de quartiers politique de la ville ou de secteurs ruraux. « Nous nous ancrons dans la volonté du réseau d’aller chercher des élèves qui se censurent, se disent que Sciences Po ce n’est pas possible », explique Anaïs Volin-Colombatto, responsable du service démocratisation de Sciences Po Lyon.

L’établissement a ainsi noué des partenariats avec une soixantaine de lycées partenaires et accompagnent plus de 500 lycéens, sélectionnés sur critères sociaux, en première ou en terminale. « On retrouve beaucoup de similarités entre l’imaginaire que peuvent avoir des élèves ruraux et des élèves en quartiers politique de la ville, note-t-elle. Même si l’éloignement kilométrique peut être faible en QPV, la frontière est dans la tête. »

Autre crainte qui revient beaucoup, liée à la méconnaissance des établissements : le coût induit par ces études lointaines. Frais d’inscription, loyers : un obstacle pour de nombreuses familles, dans des secteurs ruraux où la population bénéficie majoritairement de faibles revenus. « Beaucoup se censurent car ils pensent que notre école est très chère, relate ainsi Anaïs Volin-Colombatto. Nous expliquons que notre établissement est public et que pour les élèves boursiers, les droits sont exonérés. C’est vraiment méconnu. »

Manque d’accès à la culture et aux codes

« J’ai été prof en prépa Sciences Po. J’ai été marquée par le fait que les jeunes issus de territoires ruraux, s’ils avaient le même niveau à l’écrit, ou parfois meilleur, se cassaient la figure à l’oral : ils n’avaient pas les codes, pas lu ce qu’il fallait lire, pas vu ce qu’il fallait voir, pas fait de stage à l’international, etc… » déplore Salomé Berlioux.

Le mode de vie parfois très différent des citadins – avec notamment moins d’accès à la culture et à la vie associative, représente un frein à l’accès aux grandes écoles. « Pour le dossier de candidature de Sciences Po Paris, en plus des notes, il fallait un dossier, avoir fait des choses dans sa vie, alors qu’on est seulement en terminale, se souvient Emma Deschamps, qui a réussi à intégrer Sciences Po Lyon, après avoir bénéficié du programme égalité des chances proposé par l’établissement. À Ambérieux, pour l’engagement associatif, par exemple, il fallait vraiment bien chercher… » De la même façon, les jeunes ruraux ont souvent moins de facilités à voyager, tout particulièrement à l’étranger. Ou même à pratiquer des activités comme la musique, ayant moins d’offres et surtout beaucoup de temps de perdu dans les transports.

Une fois passée la barrière de l’admission, il reste un autre défi à relever pour ces élèves : faire leur place dans un milieu où ils ne se reconnaissent souvent pas. « J’ai senti un grand décalage avec les autres étudiants, qui fonctionnent beaucoup sur l’image et le paraître, se souvient Marion Jamet. La première année a été très compliquée, avec l’éloignement familial et géographique. Passer de Nevers à Paris, c’est un changement flagrant. » Un sentiment partagé par Emma Deschamps, à Lyon. Malgré un éloignement modéré de ses proches, elle a mis du temps à trouver sa place : « En première année, je m’autocensurais beaucoup, je ne prenais pas la parole, se souvient-elle. Certains venaient de lycées privés, d’autres de grandes prépas… J’ai mis du temps à me sentir légitime ! Ça a fini par aller mieux en trouvant des amis qui me ressemblaient. »



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