James Turrell, dans l’oeil d’un artiste de l’immatériel

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Ce géant américain, que l’âge n’a pas vraiment assagi, revient à Paris cet automne, chez Gagosian et chez Almine Rech. Il a découvert le ciel en tant que jeune pilote dans des missions dangereuses. Il en a gardé le goût de l’infini, du miraculeux, de la nature plus grande et plus inventive que tout. Quiconque a expérimenté ses «Skyspaces» n’oublie plus cette leçon d’une contemplation active. Portrait d’un prophète de l’immatériel.

James Turrell, 81 ans, c’est une légende de l’art américain, grande comme un volcan. Son volcan. Celui qu’il a acheté en 1979 en Arizona, près de la ville de Flagstaff et qu’il transforme depuis, inlassablement, en œuvre d’art extraterrestre, The Roden Crater Project. Une ouverture naturelle et directe sur le ciel et le cosmos, un Skyspace du troisième type, monumental, voire pharaonique dont l’achèvement est gardé au plus secret. James Turrell aurait pu être français, son ancêtre s’appelait Tourelle et venait du nord de la France. Mais son parcours d’Action Man, digne de Tom Cruise dans Mission impossible, est typiquement américain. Avec les ans, ce bon vivant a pris quelque chose d’Orson Welles dans sa version massive et d’Odin, le dieu viking à la barbe blanche.

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Né à Los Angeles le 6 mai 1943, ce fils d’une famille de Quakers est un mélange quasi hollywoodien de contemplation et d’action à tendance héroïque. Son père est ingénieur en aéronautique, sa mère médecin. Il passe son brevet de pilote à 16 ans. Objecteur de conscience pendant la guerre du Vietnam, il participe à l’évacuation des moines tibétains par les airs durant l’occupation chinoise. Il a étudié la psychologie de la perception, les mathématiques, la géologie et l’astronomie au Pomona College de Claremont en Californie.

James Turrell, 81 ans.
Florian Holzherr

C’est un marin hors pair qui «participe toujours aux régates dans la vaste Cheasapeake Bay», ce Maryland cossu où se réfugient les députés de Washington et où il passe ses étés et ses Noëls.«En attendant, je suis en Arizona, mais nous sommes à 2300 mètres d’altitude et donc le climat du désert y est plus frais», nous dit, début juillet, ce passionné des JO qui se délecte d’avance de Paris 2024. À 81 ans, James Turrell «aime toujours piloter, expérimenter tous les types de transport, monter à cheval, mener un attelage, faire du planeur – sans doute (son) sport favori», dit très tranquillement cet intrépide. «Je ne dirais pas que je n’ai pas peur en planeur, mais ce n’est pas mon souci. Il faut ralentir dans l’air ascendant et jouer de l’air descendant. Tout est stratégie. Quand un gros orage tombe sur votre voilier, il y a des moments où vous avez peur. Il s’agit de réfléchir et d’agir au mieux avec ses moyens.»

Il revient à Paris, cet automne, après une longue absence, avec deux expositions concomitantes, à la Galerie Gagosian et chez Almine Rech. Il eut une grande exposition au Musée d’art moderne de Paris, en 1983-1984. Autant dire un siècle. Aujourd’hui, si l’on veut expérimenter un Skyspace de James Turrell, il faut aller chez Bernar Venet au Domaine du Muy, dans le Var. Turrell qui l’a piloté de loin, avec une précision démoniaque, va «enfin le découvrir à l’occasion de sa venue en France».

Perfectionniste, Bernar Venet entretient méticuleusement cette fragile sculpture ouverte au chaud, au froid, au vent et à la pluie. «Mon retour est induit par l’effervescence de Paris, après le Brexit qui éloigne Londres, avec le contexte des élections américaines qui préoccupent le pays. Paris a son heure», estime ce géant américain auquel le Guggenheim consacra une exposition au rayonnement irréel en 2013, la première à New York depuis 1980.

«Skyspace» dans la résidence Sheats-Goldstein, conçue par l’architecte John Lautner,à Los Angeles.
GAELLE LE BOULICAUT/Madame Figaro

Être qualifié d’«artiste de la lumière» ne le fatigue-t-il pas? Il rit. «C’est un compliment que j’apprécie. J’utilise la lumière comme un matériau pour canaliser la vitesse de la perception.» Des commentaires qui l’agacent? «J’ai des détracteurs, comme toute personne qui a une vision qui n’est pas celle des autres. Mais cela ne me concerne pas. Je lis parfois ce qui est écrit à mon sujet, répond ce taiseux. Je m’exprime à travers mon art, pas par les mots. C’est mon art qui incarne ma performance.» Se sent-il singulier dans le monde sonnant et trébuchant de l’art contemporain? «Je ne me sens pas différent de l’artiste de mes débuts. C’était un temps où l’art avait de grandes ambitions, je faisais partie de cet élan. Aujourd’hui, l’art contemporain est dominant. Il suffit d’un avis déterminant sur un jeune artiste, et son compte Instagram explose. Je me sens toutefois bien dans mon époque. L’art est partout, mais il a sa juste place.»

APPORTER «UN PEU DE SPIRITUALITÉ AU MONDE»

«Lech Skyspace» dans le massif de l’Arlberg, en Autriche, 2018.
James Turrell/Adagp 2024
«Accretion Disk», 2018.
Florian Holzherr
«Accretion Disk», 2018.
Florian Holzherr

Ses premiers travaux avec la lumière commencent en 1966 dans son studio de Santa Monica. Il appartient alors au groupe d’artistes Light and Spac, qui comprend quelques grands utopistes de l’art: Robert Irwin, le plus ancien, mort en 2023 à 95 ans, qu’exposa le Mac Lyon en 2017 ; Mary Corse, 79 ans, artiste entre peinture et lumière, entre expressionnisme abstrait et minimalisme, exposée au Whitney Museum de New York et défendue par la puissante Pace Gallery ; et Doug Wheeler, 85 ans, sorte de prophète en blanc que le Fond régional d’art contemporain de Lorraine invita en 2016 à Metz. Mais James Turrell, par son approche holistique de l’art, a une aura particulière. Elle touche à l’universel. Elle repose sur son approche de la lumière qui utilise l’architecture dans ses Skyspaces, depuis les années 1970, pour définir un cadre au-dessus duquel défilent le ciel et toutes ses variations de couleurs.

«Skyspace» au Museum of Contemporary Art de Scottsdale, en Arizona, 2001.
Richard Misrach

Il reconnaît que son héritage quaker «a eu une grande influence sur son attraction pour l’abstraction». «J’aimerais croire que j’ai apporté un peu de spiritualité au monde. Mais, en fait, tout dépend du spectateur qui vient avec ses propres croyances, son histoire, ses propres goûts et rejets. C’est de l’art, pas une religion!» L’humour, distillé à froid, est son armure. Quand son projet Roden Crater sera-t-il enfin achevé? «J’ai toujours dit que j’aurais fini en l’an 2000, j’y travaille! C’est le projet d’une vie, c’est toute ma vie… Avec le Covid, j’y ai vécu les quatre dernières années. Tout était vraiment confiné aux États-Unis. J’ai donc pu y travailler in situ. Et comme le site est clos, on a pu continuer de construire pendant le confinement, malgré les difficultés: nous avons perdu deux de nos ouvriers, victimes du Covid. Je n’ai pas de date d’achèvement du projet, cela dépend aussi des fonds que j’arriverai à attirer. Pour l’heure, tout va très bien.»

«Knowing Light», 2007.
Mike Bruce

Ses projets, essaimés aux quatre coins du monde, sont autant de petits miracles de l’esprit humain qui plongent le visiteur dans l’expérience du Slow Art: son Skyspace du Museum San s’ouvre sur le ciel de la Corée du Sud (Twilight Resplendence, 2012) dans une vallée privée rendue à la beauté de la nature ; ses installations spectaculaires sur l’île japonaise de Naoshima, près de Kobe, culminent avec l’hôtel Oval où les privilégiés poursuivent la soirée, voire la nuit sous les étoiles ; de son Irish Sky Garden, ouvert en 1992, dans le Liss Ard Estate à Cork en Irlande, à celui, associé à une piscine qui conduit à l’illumination, des mécènes et collectionneurs Norah et Norman Stone dans Napa Valley, James Turrell recrée cet émerveillement de l’homme à l’aube du monde… Comme s’il découvrait son premier arc-en-ciel, son premier nuage, sa première nuit étoilée. James Turrell n’est pas le magicien qui dévoile ses tours, mais plutôt celui qui s’éclipse derrière cette apparition où la couleur ne connaît plus de frontières.

«James Turrell. At One», à partir du 14 octobre, à la Galerie Gagosian, 26 avenue de l’Europe

93350 Le Bourget

«James Turrell», du 14 octobre au 21 décembre, à la Galerie Almine Rech Paris Matignon, 18, avenue Matignon, Paris 8e.



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