Incendie de Lubrizol à Rouen : cinq ans après, toutes les leçons de la catastrophe n’ont pas été tirées

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Le 26 septembre 2019, l’agglomération de Rouen (Seine-Maritime) se réveille avec un immense panache de fumée dans le ciel. Depuis 4 heures du matin, un incendie ravage les stocks de produits chimiques de l’usine Lubrizol et l’entrepôt voisin de Normandie Logistique, provoquant la sidération des habitants, une immense vague d’inquiétude et d’irritation, et pas seulement des yeux et du nez.

Cinq ans après, quel bilan tirer de cette catastrophe industrielle ? Sur les causes de l’incendie, c’est encore le grand flou. Les collectifs et associations défendant les intérêts des habitants attendent encore que l’instruction, toujours en cours au pôle santé publique du tribunal de Paris, soit bouclée. Ce qui ne devrait pas arriver avant de long mois en raison de la complexité scientifique, technique et juridique de ce dossier qui compte plus d’un millier de plaintes.

VidéoIncendie Rouen : le brasier de l’usine Lubrizol filmé par un drone

Du côté de l’université de Rouen, une vaste étude baptisée COP HERL, mobilisant 17 laboratoires et plus d’une centaine d’experts scientifiques, a analysé durant quatre ans les conséquences de l’incendie, aussi bien pour l’environnement que pour la santé, mais aussi d’un point de vue sociétal. Et elle vient d’être dévoilée. « De par son ampleur et sa durée, c’est un travail assez inédit », assure Matthieu Fournier, son coordinateur.

La Seine durablement polluée

Côté pollution, les chercheurs ont détecté la présence d’une trentaine de molécules en lien direct avec l’incendie. Ces marqueurs, présents dans l’air, le sol ou l’eau, n’ont pas tous la même dangerosité. « 22 molécules ne présentent pas de risques majeurs, mais ont des propriétés irritantes ou des effets narcotiques ponctuels. Les huit autres sont en revanche plus problématiques car elles sont cancérogènes, toxiques ou présentent un effet de perturbateur endocrinien », assure l’enseignant-chercheur.

Tout en précisant qu’aujourd’hui aucune n’est dangereuse en l’état pour les populations. « Mais maintenant que nous savons qu’elles sont libérées par un tel incendie, explique-t-il, il faut être capable de les mesurer et d’assurer leur suivi. ». Notamment dans la Seine au niveau de la « darse au bois », là où se sont écoulées les eaux d’extinction du feu.

« On y a trouvé des taux de PFAS – plus connu sous le nom de polluants éternels, NDLR – inédits en France et des concentrations importantes de cadmium, cuivre, plomb, zinc, HAP et PCB. Ces sédiments se trouvent au fond de la darse et il est essentiel de mesurer leur impact sur la qualité des eaux et l’écosystème afin de savoir s’il est nécessaire de la nettoyer au plus tôt. »

Certains habitants ont déménagé

Parmi les 120 pages de l’étude, l’autre aspect particulièrement notable concerne le ressenti des habitants exposés à cette catastrophe. « Tous se souviennent où ils étaient ce jour-là, ce qu’ils faisaient lorsqu’ils ont découvert le panache de fumée en ouvrant leurs rideaux. » Plus de 2 000 personnes ont été interrogées et 25 000 « posts » sur les réseaux sociaux analysés pour comprendre les réactions de chacun, en lien avec les mesures d’alerte ou d’information prises par les pouvoirs publics.

« On avait d’un côté une communication, basée sur des faits scientifiques, qui disait qu’il n’y avait rien à craindre pour la santé de la population et le ressenti de cette population avec des personnes qui avaient des irritations, des nausées… Et qui, pour beaucoup, se sont sentis abandonnées, au moins dans les premiers temps, par ceux censés les protéger. ». Ce qui a eu des conséquences concrètes, comme le déménagement de certaines familles. « Sur celles à qui nous avons posé la question, un tiers nous disait envisager un déménagement. Et sur ce tiers, environ 30 % ont franchi le pas, ce qui représente une centaine de personnes, ce qui est loin d’être négligeable. »

« Une impression de confusion, voire d’incompétence »

Matthieu Fournier insiste donc sur cette « expérience sensorielle », qui ne doit pas être ignorée, en particulier dès le début d’une telle catastrophe où l’absence de consignes claires et comprises par tous laisse la place à toutes les interprétations et les rumeurs, même les plus farfelues. « Chacun prend alors les décisions qu’il croit les plus appropriées pour se protéger ou protéger ceux dont il a la responsabilité. C’est pour cela par exemple qu’un directeur d’école ou un maire va décider de renvoyer des élèves chez eux quand un autre va choisir de les confiner. De l’extérieur, cela donne une impression de confusion, voire d’incompétence ».

Une situation qui, malgré les moyens déployés en parallèle par l’État et la Métropole Rouen-Normandie en matière de système d’alerte, pourrait encore aujourd’hui se reproduire d’après le chercheur qui recommande donc aux institutions de travailler sur cette question fondamentale. « On s’aperçoit que la culture du risque dont on parle souvent n’a pas imprégné les habitants, même les plus proches des sites Seveso très nombreux dans l’agglomération. »

Un premier pas a-t-il été franchi avec la cartographie mise en ligne par la métropole qui recense les 23 usines concernées, indiquant à leur sujet les rappels à l’ordre – ou leur absence – émis par les services de l’État ? Pas certain puisque ces pictogrammes – vert, jaune, et rouge suivant la situation administrative de chaque site – n’indiquent pas les risques encourus par la population suivant le type d’activité ou d’éventuelles consignes en cas d’accident. Au mieux, cette pression mise sur les industriels qui sont pointés du doigt en ligne pourrait les inciter à se mettre plus rapidement en conformité avec la réglementation en vigueur.



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