École à la maison : plongée dans le quotidien fascinant de trois enfants instruits en famille

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C’est un matin de septembre, à l’heure où les enfants sont en classe. Pourtant, dans cette maison de la banlieue parisienne, un petit garçon déguisé en chat fait irruption dans le salon. Valentino a quatre ans. Ses deux frères aînés, Gabriel, 7 ans et Alessandro, dix ans. Aujourd’hui, aucun n’ira à l’école. Valentino n’y est d’ailleurs jamais allé. Ses deux aînés oui, mais pas longtemps. Et cependant, c’est bien une journée d’école qui débute pour les trois frères. Une école pas comme les autres. Dans cette famille, on fait l’école à la maison.

À première vue, la pédagogie est pour le moins déroutante. Pas de cours. Pas de programme. Les trois enfants jouent librement. Le chat Valentino saute du canapé à la table et de la table à la chaise. Gabriel est penché sur un coloriage divisé en cases contenant chacune une addition ou une soustraction. Charge à lui de trouver le résultat et de colorier la case de la couleur correspondante. Son grand frère Alessandro tapote sur le téléphone de sa mère. Pour vaincre son adversaire, le personnage virtuel qu’il incarne doit… connaître ses tables de multiplication !

La plupart du temps, les jeux mis à leur disposition ont une visée pédagogique. Quand vient le tour de Gabriel sur le téléphone, Alessandro se lance dans un plan cartésien. Il doit lire des coordonnées et placer des points sur le graphique. Au moment de relier les points entre eux, apparaît une chauve-souris, un avion… Marie, leur mère, a imprimé un puzzle de formes géométriques colorées chiné sur internet. «En le voyant sur la table, ils ont spontanément demandé à le faire», explique-t-elle. «Ne pas trop planifier permet de mieux susciter leur intérêt.»

«Faire des Maths ? Ça n’a pas de sens…»

Cette absence apparente d’organisation est parfaitement assumée. Dans les premières années d’instruction en famille, Marie a commencé par «l’éducation formelle». Comprendre le modèle scolaire classique, cours, exercices, devoirs… «Le plus souvent, ça faisait flop, raconte-t-elle. L’enfant n’est pas toujours disponible pour la séance préparée.» Elle y oppose «l’apprentissage informel». Une sorte d’école de la vie quotidienne, dans laquelle l’enfant est censé apprendre dans les activités de tous les jours, les jeux, les sorties, la cuisine, les services…

«Faire des Maths ? Faire du Français ? Ça n’a pas de sens, balaie-t-elle. C’est parce qu’on va faire une cabane, ou une recette de cuisine, ou des trajets qu’on a besoin de faire des calculs, des conversions, de savoir lire ou écrire !» Parfois, il faut passer par une courte leçon. Récemment, Alessandro a eu droit à un rappel sur le subjonctif. D’abord, relire la leçon sur une carte mentale colorée. Puis conjuguer un verbe entier. Mais ce genre d’exercice est rare. «Dans une journée, si on a travaillé une heure de façon formelle, c’est déjà très bien. Au début on fait l’école à la maison, puis on s’aperçoit que moins on la fait, mieux on la fait.»

En France, l’instruction en famille (IEF) est extrêmement rare. Selon le rapport de la médiatrice de l’Éducation nationale en 2024, il concerne seulement 0,4% des enfants. Et la «loi séparatismes» promulguée le 24 août 2021 a considérablement resserré la vis. Pour Marie et ses enfants, tout a failli s’arrêter là. En effet, à partir de la rentrée 2022, ce texte a restreint l’IEF aux enfants confrontés à des situations exceptionnelles (problème de santé, handicap, activité sportive ou artistique intensive, famille itinérante…).

Appliquer cette méthode très libre n’est pas toujours simple

Pour les autres familles, le nombre de refus a explosé. Ainsi le dossier de Marie a-t-il d’abord été rejeté il y a deux ans. Il aura fallu un recours et une audience pour obtenir gain de cause. Tout le monde n’a pas eu cette chance. Pourquoi elle ? Alessandro et Gabriel faisaient déjà l’école à la maison avant 2022. «Dans certaines académies, ils ont laissé les familles qui faisaient déjà l’IEF avant la loi continuer et ils ont interdit à tous les nouveaux.»

Bien sûr, appliquer cette méthode très libre n’est pas toujours simple. Marie impose le moins possible. Il faut négocier avec les deux grands, qui, comme tous les enfants de leur âge, tentent de grappiller du temps de jeu sur le téléphone… Et calmer le petit Valentino qui goûte assez peu de n’avoir pas le droit de regarder l’écran pendant que ses aînés jouent. Quand Gabriel est trop excité, sa maman lui propose de faire trois fois le tour de la maison. Mais lui ne l’entend pas de cette oreille. «Alors deux fois l’aller-retour dans l’escalier», suggère sa mère.

Régulièrement, Marie emmène ses enfants en forêt, à des ateliers ou à des visites culturelles. Elle est membre de l’École Delavie, un réseau de quelques centaines de familles qui propose des visites, des sorties et des bons plans. Le 2 septembre, jour de la rentrée, une «fête de non rentrée» a été organisée au parc Montsouris.

Autant d’occasions, pour les trois frères, de côtoyer des enfants de leur âge. Dernièrement, Marie et ses garçons se sont rendus chez un vitrier avec un groupe de familles. Les trois frères ont même pu fabriquer des tulipes en verre qui décorent maintenant le salon. Les trois garçons ne fréquentent pas non plus que ces familles. Les deux grands font du handball et du karaté ou de l’Aïkido. Chacun joue d’un instrument de musique. Alessandro est même inscrit au scoutisme, chez les louveteaux.

HPI, Alessandro a été harcelé à l’école 

Chaque année ou presque, en vacances, la famille passe aussi à Guédelon (Yonne), où un célèbre château fort est en chantier avec les techniques du Moyen-Âge. Les garçons exhibent fièrement des pierres rectangulaires dont ils ont grossièrement taillé les surfaces en forme de blasons. Un travail réalisé au ciseau et à la masse, dans le cadre d’un atelier avec les tailleurs de pierre du château.

Plusieurs raisons ont poussé Marie à choisir l’IEF. Son souvenir douloureux du collège sans doute. Et le passage de ses deux aînés dans le primaire, surtout. D’abord scolarisé à l’école publique du coin, Alessandro a été harcelé. Professeurs, parents… Personne n’aurait vraiment pris le problème à bras-le-corps. Marie a alors inscrit Alessandro dans une école du réseau Espérance banlieues. Ce n’est guère plus concluant.

«Entretemps, Alessandro avait été testé HPI (Haut potentiel intellectuel – NDLR), explique Marie. L’enseignante était de bonne volonté, mais elle n’était pas formée, ni pour les HPI ni pour le harcèlement.» Gabriel, le deuxième, a lui aussi fait un court passage à l’école qui s’est mal passé. Marie parvient alors à convaincre son mari de sauter le pas vers l’instruction en famille et quitte son travail de psychomotricienne pour se consacrer à ses enfants.

L’Education nationale ? Un paquebot en train de couler par le fond, entrainant avec lui ceux qui cherchent à le sauver.

Marie, mère de famille pratiquant l’instruction en famille 

Marie reproche aussi à l’école de chercher à «uniformiser l’enfant sous couvert d’égalité» pour «en faire un bon citoyen», quitte à se contenter de transmettre «une base de savoirs très basiques», au lieu de «permettre à chacun de développer ses particularités, ses spécificités». L’Éducation nationale ? «Un paquebot en train de couler par le fond, entraînant avec lui ceux qui cherchent à le sauver», fustige-t-elle.

L’heure du déjeuner approche. Au menu, blettes et gruau d’avoine. «C’est trop bon» se réjouit Gabriel qui a déjà commencé à couper les légumes. Marie l’avoue sans mal, faire à manger tous les jours est parfois lassant. «C’est vrai que pour la cantine, c’est quand même bien l’école», sourit-elle. Elle exhibe un petit carnet dans lequel ses garçons ont noté des recettes. La logique est toujours la même. Si l’on apprend à lire et à écrire, c’est parce qu’on en a besoin au quotidien.

Les occasions sont nombreuses. Une carte postale pour les grands-parents. Une carte et des indices pour une chasse au trésor. «Alessandro écrit bien, affirme Marie. Gabriel est moins à l’aise, c’est normal à son âge. Valentino commence à tracer ses premiers mots.» Pas de retard non plus sur la lecture. À six ou sept ans, Alessandro avait déjà dévoré les sept tomes d’Harry Potter. Tous les ans, les garçons passent un contrôle pédagogique au rectorat. «Tout s’est toujours très bien passé», assure Marie.

Retourner en classe ? Même pas en rêve !

Valentino 

Une fois la table débarrassée, la famille se lance dans un nouveau jeu aux allures d’expérience de chimie : sculpter un volcan dans un petit bloc d’argile. Une fois le cratère terminé, il ne reste plus qu’à y verser du bicarbonate de soude, du colorant et un peu de liquide vaisselle. Marie secoue la table. «C’est un tremblement de terre !» Les enfants sont hilares.

«Comment on l’appelle ? Le Vésuve ? L’Etna ?», demande Gabriel. Un volcan italien en tout cas. C’est le pays d’origine de leur père. Les trois garçons sont bilingues. Enfin, Valentino verse du vinaigre blanc avec un immense sourire. Une mousse rose, puis bleue, s’échappe brusquement du cratère et se déverse sur les flancs du volcan d’argile.

Une école sans aller à l’école. Sans cours, ni devoirs, ni interrogations… Quel enfant n’en a pas rêvé ? Évidemment, ceux de Marie paraissent conquis. «C’est trop bien on peut faire du lego tout le temps !», s’exclame Gabriel en grimpant dans le cerisier du jardin. Son petit frère Valentino, qui aura gardé son costume de chat toute la journée, l’a suivi dans les branches. «Retourner en classe ? Même pas en rêve !» lance-t-il avant de sauter au sol.



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