Histoire : Retour sur la chute de Mzali et son conflit feutré avec Ben Ali – Kapitalis

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Je viens de terminer le livre de Ridha Ben Slama, ‘‘La Chute’’ ou ‘‘Les dessous du démantèlement de l’Etat de l’indépendance (1980-1987)’’ (éditions Nirvana, Tunis, gévrier 2024, 242 pages) qui évidemment s’efforce de réhabiliter la mémoire du regretté Mohamed Mzali dont l’auteur a été un proche collaborateur. Puisque Kapitalis en a déjà fait le commentaire, je m’efforcerai à titre privé de soulever les points qui m’ont paru dignes d’intérêt. 

Dr Mounir Hanablia *

1- Je doute que Ben Ali eût été capable de planifier sur plusieurs années son ascension au pouvoir, selon ce qu’en a évoqué l’auteur, en faisant le vide dans l’entourage de Bourguiba. Cela aurait supposé de sa part une intelligence qu’il n’a en fait jamais démontrée ni avant ni pendant sa présidence. 

2- La disgrâce finale de Mohamed Mzali tient au fait que finalement durant ses six années à la tête du gouvernement il ne s’est jamais assuré d’alliés solides dans le sérail, le parti au pouvoir, ni même au sein du ministère de l’Intérieur, mis à part son cousin Ameur Ghedira. Il est ainsi demeuré isolé, une simple courroie de transmission de Bourguiba, un exécutant qui n’exerçait apparemment aucune influence sur de dernier, dont il dépendait entièrement.

Plus que cela, il a été marginalisé au sein même du clan de Monastir, sa ville natale où il s’est trouvé face à l’hostilité de Mansour Skhiri, Mezri Chekir, pour ne pas dire Saïda Sassi. Sa responsabilité se situe dans le fait qu’il ait accepté d’être privé de ses attributions normales de Premier ministre et qu’il n’ait pas cherché à y remédier.

C’est déjà un exploit que sans le passé de militant historique du parti destourien à même de lui assurer le prestige nécessaire, sans la base partisane ou régionale nécessaires, sans le contrôle solide des ministères régaliens, il soit demeuré aussi longtemps à la tête du gouvernement. 

3- Concernant la mort de feu Farid El-Mokhtar, je me bornerai à l’évoquer selon mes souvenirs. Etant alors résident de garde d’urgence à l’hôpital Abderrahmane Mami de l’Ariana, je me souviens un soir de Ramadan, sans doute à la date indiquée par l’auteur, avoir vu le corps ensanglanté du défunt, que je ne connaissais pas, mais qui a été reconnu par l’infirmier qui face à mon ignorance a précisé que c’était le président du Club Africain et le frère de l’épouse du Premier ministre. Il avait été amené probablement par ambulance, et une personne, dont j’ai cru comprendre qu’il s’agissait d’un policier en civil, avait dit qu’il avait eu un accident en revenant de Ras Jebel. Sa voiture avait paraît-il quitté la chaussée et heurté l’entrée d’un pont de plein fouet, et on avait mis cela sur le compte de l’excès de vitesse et du sommeil du chauffeur.

Selon ce que j’en avais vu, ainsi que la quantité de sang qui se trouvait sous le corps, il était évident qu’il avait subi un traumatisme de grande ampleur compatible avec un grave accident de la voie publique.

Quelques minutes après son arrivée, une personne dont on a dit qu’il s’agissait du Dr Rifaat Daly, le gendre de Mohamed Mzali, est arrivée, a vu le corps. Il me semble qu’il est ensuite immédiatement reparti après avoir posé quelques questions au surveillant de l’hôpital et au policier. Environ une heure plus tard, sont arrivées Mme Mzali et Mme Mokhtar, une française sans doute, qui ont reconnu le corps. Mme Mokhtar a éclaté en sanglot, et s’est mise à crier : «Mais pourquoi? Pourquoi?» et Mme Mzali qui était très digne l’a étreinte de ses bras et l’a rapidement menée dehors. A noter que Mohamed Mzali n’est pas apparu cette nuit là à l’hôpital.

4- J’ignore si le général Vernon Walters a bien joué le rôle que l’auteur lui attribue. Je suis même étonné que selon le récit de Rachid Sfar, c’est Ben Ali, alors ministre de l’Intérieur, qui a accompagné l’Américain pour venir le voir, et qui s’est même permis de s’absenter deux fois au cours de la réunion pour une histoire relative à un incident grave sur le bac de Radès; Vernon Walters profitant de cette absence aurait demandé au Premier ministre ce qu’il pensait de son ministre de l’Intérieur. A mon avis c’est plutôt le ministre de la Défense ou celui des Affaires étrangères qui aurait dû accompagner le général américain. Cela ne semble pas logique.

5- Si Mohamed Mzali a été considéré par les Américains comme un témoin gênant devant disparaître parce qu’il leur a transmis en 1982 l’accord de Arafat pour la modification de la charte de l’OLP, et que l’invasion israélienne du Liban s’est produite quelques semaines plus tard, il demeure nécessaire de savoir pourquoi il a fallu 4 ans pour l’éliminer de la scène. C’est là encore une argumentation peu convaincante. Israël avait attaqué le Liban avec le plein soutien américain pour briser l’infrastructure politico-militaire de l’OLP, parce que les maires palestiniens de la Cisjordanie occupée clamaient leur allégeance à l’organisation de Yasser Arafat et empêchaient ainsi les Israéliens d’établir l’autonomie prévue par les accords de Camp David signés avec l’Egypte, et qui en fait revenaient à légaliser l’annexion des territoires occupés par les sionistes.

6- Une autre raison du désir des Américains de mettre à l’écart  Mohamed Mzali aurait été son refus de souscrire à la demande américaine d’établir des bases militaires en Tunisie. Si tel est le cas, force est de constater que Ben Ali non plus ne l’a pas fait lorsqu’il a accédé à la présidence, ce qui met en question la pertinence de l’argument.

Quant à l’usine d’acide phosphorique établie en Chine avec des capitaux koweïtiens et le savoir-faire tunisien, pour peu qu’elle ait démontré le soutien accordé au Premier ministre par le Koweït, quel intérêt la Tunisie aurait-elle pu véritablement en retirer en termes d’emplois et de transfert de technologie, au point de susciter l’ire des Américains? 

7- Ben Ali complice d’Ennahdha dans le coup d’Etat? Je pense plutôt qu’il les a manipulés, peut-être pourquoi pas avec l’aide des Italiens du SIM; il n’aurait pas pu mener sans l’aide de services étrangers et avec succès une intox aussi complexe. Si le complot, le sien, avait échoué, il aurait eu beau jeu prétendre avoir découvert celui des militaires islamistes et avoir agi pour le faire avorter. C’est l’explication la plus logique concernant le chevauchement des acteurs et des calendriers des deux complots que l’auteur a fort justement fait remarquer.

8- Rachid Ammar patron des snipers? Il faudrait encore le prouver, les douilles des balles n’ayant jamais été versées dans le dossier de la justice.

Pour finir, la méthodologie adoptée par l’auteur, celle de chercher à prouver des préétablis à partir de faits réels ou supposés comme tels, ne conduit qu’à des conclusions fausses. On peut comprendre sa volonté de régler son compte à un  passé  douloureux qui s’est conclu d’une manière aussi dramatique, par la fuite sans gloire de la personne qu’il a servie et à laquelle il a fini par s’attacher. Mais fallait-il pour cela en charger d’autres personnes sans apporter les preuves nécessaires pour le faire?

Concernant les cas de conscience tardifs, j’en reviens toujours à feu Amor Chedly, illustre professeur fondateur de la faculté de médecine de Tunis, directeur de l’Institut Pasteur, ministre, médecin personnel de Bourguiba n’ayant jamais mis en doute son équilibre mental et sa lucidité, qui avait avoué dans son livre écrit après la Révolution, que Mezri Chekir lui avait appris que Ben Ali préparait un coup d’Etat. Il a simplement exprimé 23 ans après ses regrets de ne pas l’avoir dénoncé. Dans ces conditions, mieux vaut s’abstenir de tout autre commentaire sur tous ceux qui à cette époque gravitaient autour de Bourguiba. «Souvenez-vous de vos défunts en bien», disait le Prophète Mohamed, béni soit-il.

* Médecin de libre pratique.



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