« Fantômes rouges », de Tania Branigan : stigmates de la Révolution culturelle

Partager


« Fantômes rouges. Chine : la mémoire hantée de la Révolution culturelle » (Red Memory. Living, Remembering and Forgetting China’s Cultural Revolution), de Tania Branigan, traduit de l’anglais par Lucie Molde, Stock, 432 p., 23,90 €, numérique 17 €.

Près d’un demi-siècle après la mort de Mao Zedong (1893-1976), la Révolution culturelle (1966-1976) et ses jeunes gardes rouges incités à remettre en question, y compris violemment, tous les responsables – à l’exception du « Grand Timonier » lui-même – continuent de hanter la Chine. En témoigne l’arrestation le 26 août de Gao Zhen, un artiste de 68 ans qui ne s’est jamais remis du prétendu suicide de son père en 1968 lors de sa détention, et dont les œuvres mettent à mal ­depuis des années l’image de Mao. De passage en Chine, alors qu’il vit à New York, Gao Zhen a été arrêté pour « atteintes à la réputation et à l’honneur des héros et martyrs ». Un destin qui rappelle celui de l’artiste Ai Weiwei, lui aussi marqué par les violences que les maoïstes ont ­infligées à sa famille.

Mais, montre Tania Branigan dans Fantômes rouges, toutes les victimes du maoïsme ne se sont pas transformées en rebelles anticommunistes, loin de là. Xi Jinping, dont le père, pourtant proche de Mao, avait été condamné à l’exil intérieur de 1962 à 1978, le prouve. Lui-même envoyé en rééducation à la campagne alors qu’il n’avait que 15 ans, le futur président fera même des pieds et des mains pour être admis au sein du Parti communiste. Une démarche moins exceptionnelle qu’il n’y paraît. On rencontre aujourd’hui dans l’empire du Milieu nombre de ­Chinois qui restent – et leurs descendants avec eux – traumatisés par ces dix ans de violences qui auraient fait deux millions de morts et dont l’évocation reste taboue. Mais on croise aussi des Chinois âgés qui regrettent le « bon vieux temps » du maoïsme, y compris de la Révolution ­culturelle.

Correspondante en Chine du quotidien britannique The Guardian de 2008 à 2015, Tania Branigan s’est passionnée pour cette période si difficile à appréhender mais dont la compréhension est pourtant indispensable pour décrypter la Chine d’aujourd’hui. Elle-même issue d’une famille sino-thaïlandaise, Tania Branigan aurait d’ailleurs pu faire partie des victimes puisque, dans les années 1930, sa grand-mère a essayé – en vain – de fuir en Chine puis de rejoindre le Parti communiste pour pouvoir faire des études.

Silence imposé

Outre les témoignages souvent tragiques qu’elle a recueillis tant du côté des victimes que de celui des bourreaux, l’autrice revient sur certains épisodes oubliés, comme cette traque de membres du prétendu Parti du peuple de Mongolie-Intérieure – un parti inexistant à cette époque –, qui aurait causé la mort de plus de 20 000 personnes. Ou la véritable guerre civile qui a opposé des factions rivales de gardes rouges à Chongqing en raison de la présence d’un arsenal dans cette ville du centre du pays. Si, dès 1981, le Parti communiste a reconnu que cette période fut « une catastrophe », il n’autorise toujours pas les Chinois à émettre publiquement semblable critique. En ­raison de ce silence imposé, « tous sont aujourd’hui des victimes ignorées », affirme même Tania Branigan.

Il vous reste 41.78% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.



#Fantômes #rouges #Tania #Branigan #stigmates #Révolution #culturelle

Source link

Home

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Retour en haut