En Sibérie, plus la « Porte des enfers » s’agrandit, plus la planète se réchauffe

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Est-ce parce qu’il glisse irrépressiblement vers les entrailles de la Terre que les superstitieux ont baptisé le cratère de Batagaïka la « Porte des enfers » ? Le fait est que cet immense gouffre situé dans le nord-est de la Sibérie s’agrandit chaque année, toujours plus. Mais Lucifer n’y est pour rien. D’après une étude publiée dans la revue Geomorphology, c’est le réchauffement climatique qui agrandit ce trou visible depuis l’espace grâce aux observations satellitaires.

Plus qu’une brèche à la surface de la croûte terrestre, les scientifiques de l’étude préfèrent le présenter comme « le plus grand mégaeffondrement de la Terre ». Une sorte de glissement de terrain XXL. Si le site de Batagaïka s’effondre sur lui-même, c’est en raison du dégel du pergélisol (ou permafrost en anglais) dans les régions arctiques (la partie du sol gelée en permanence). Sous l’effet de la chaleur, la glace qui cimente en profondeur le sous-sol fond et se transforme en eau avant de raviner les contours de la faille.

D’après les scientifiques, un million de mètres cubes d’eau et de sable, jadis agrégés par la glace, s’effritent chaque année. Depuis sa formation dans les années 1970 jusqu’en 2023, les glissements de terrain de Batagaïka ont emporté avec eux « 23,4 millions de mètres cubes de glace de sol fondue et 11,3 millions de mètres cubes de dépôts dégelés ». Une catastrophe pour… l’ensemble de la planète car ces débris, qui ressemblent à de la vase, dégagent énormément de CO2 une fois qu’ils se retrouvent à l’air libre.

Un millefeuille de matières organiques

« 4 000 à 5 000 tonnes de carbone organique auparavant emprisonné dans le pergélisol sont libérées chaque année », estiment les auteurs de l’étude. « Le pergélisol est un millefeuille de matières organiques riches en carbone, composé de résidus de végétaux qui y ont été piégés par le gel pendant des centaines d’années », explique le géomorphologue Antoine Séjourné. Quand ces ancêtres d’arbres et de feuilles se retrouvent libérés de leur gangue de glace, un processus de décomposition s’opère qui conduit, in fine, à libérer du carbone.

C’est le dégel du pergélisol (ou permafrost en anglais), ce sous-sol gelé en permanence, en Sibérie, qui inquiète les scientifiques. Ces derniers vont mener leur expérience dans le parc du Pléistocène. Reuters/Maxim Shemetov

« Dans les régions arctiques où il peut faire – 50 °C l’hiver, le thermomètre peut dépasser l’été les 30°C, ce qui a tendance à dégeler le sol en surface jusqu’à environ 1 m de profondeur, détaille François Costard, géomorphologue au CNRS et spécialiste des régions périglaciaires. Mais le réchauffement climatique accélère depuis quelques années cette tendance en réchauffant plus en profondeur le pergélisol. »

L’étude publiée dans la revue Geomorphology confirme que « l’intensification des processus de dégradation du pergélisol est liée aux changements des régimes hydrologiques et thermiques de l’Arctique par le réchauffement, l’augmentation des précipitations et de l’épaisseur de la couverture neigeuse, ce qui induit un approfondissement de la couche saisonnièrement dégelée recouvrant le pergélisol ». Les auteurs ajoutent que « les incendies de taïga et de toundra » facilitent ce processus de dégel rapide.

« L’un des plus grands mégaeffondrements sur Terre »

« Sur le site de Batagaïka, que des équipes internationales de chercheurs viennent étudier car il est un des plus importants mégaeffondrements sur Terre, la situation est alarmante car l’affaissement du terrain s’accélère de façon incontrôlable », ajoute François Costard. Antoine Séjourné confirme que le « phénomène est inarrêtable ».

« On ne peut malheureusement pas faire comme sur certains glaciers des Alpes où l’on installe des bâches blanches pour éviter que tout se casse la figure » explique le chercheur. « Et on ne va pas repeindre en blanc toute la Sibérie pour éviter qu’elle ne réchauffe », ajoute Gerhard Krinner.

Les températures estivales ont dépassé les 30 °C par endroits en Sibérie. (Illustration)
Les températures estivales ont dépassé les 30 °C par endroits en Sibérie. (Illustration) LP/Sarah Andersen

Coauteur du sixième rapport du Giec (Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat), ce spécialiste de la modélisation du climat estime que la fonte du pergélisol dans les régions polaires pourrait augmenter à terme de 10 % à 20 % le réchauffement global à la surface du globe.

Les chiffres avancés par Antoine Séjourné font… froid dans le dos. « Le pergélisol mondial contient l’équivalent de 1 500 gigatonnes de carbone, soit deux fois plus que la quantité de gaz carbonique actuellement présente dans l’atmosphère, explique le géomorphologue. Si 10 % du carbone piégé dans ce pergélisol était libéré d’ici 2100, cela provoquerait un réchauffement supplémentaire de 0,5 °C. « Peut-être que Batagaïka n’a finalement pas usurpé son surnom de « Porte des enfers ».



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