En RCA, la vie sans répit de Miryam Djangala Fall

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Nul doute que Miryam Djangala Fall aurait préféré ne jamais avoir à recevoir cet honneur : le prix Simone-Veil 2024 de la République française pour l’égalité femmes-hommes. Car derrière l’intitulé froidement générique de cette distinction se cache une vie de tourments et de souffrances, longtemps indicibles, mais que cette femme centrafricaine aujourd’hui âgée de 35 ans a décidé, il n’y a pas si longtemps, de cracher enfin, comme une libération, à la face de l’inhumanité.

Miryam Djangala Fall est en effet une survivante d’outrages sexuels à répétition subis depuis son adolescence comme autant de symptômes de la folie meurtrière qui secoue par spasmes récurrents son pays, la République centrafricaine (RCA).

La chronologie de ses drames commence en 2003 durant la « première guerre civile centrafricaine » qui déstabilisera durablement le pays. Cette année-là, le président Ange-Félix Patassé affronte une rébellion menée par son ancien chef d’Etat-major, le putschiste récidiviste, François Bozizé. Son pouvoir vacillant, il appelle à la rescousse, ultime et vaine planche de salut, des miliciens étrangers.

Notamment ceux du Mouvement de libération du Congo (MLC) de Jean-Pierre Bemba. Ceux que l’on dénomme communément les Banyamulengue semaient jusqu’alors le chaos et la mort dans la région de l’Equateur, dans l’ex-Zaïre, juste en face de Bangui, sur l’autre rive du fleuve Oubangui.

Le mandat d’arrêt émis le 23 mai 2008 par la Cour pénale internationale (CPI) établie à la Haye à l’encontre de Jean-Pierre Bemba décrit le contexte dans lequel s’écrit le malheur de Miryam Djangala Fall : « les forces du MLC ont commis du 25 octobre 2002 au 15 mars 2003 des viols, des actes de tortures, des atteintes à la dignité de la personne, des traitements dégradants et humiliants ».

Autant d’actes constitutifs de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Si finalement la CPI n’est pas parvenue à établir la responsabilité directe de Jean-Pierre Bemba, acquitté en appel en 2018, les ignominies commises n’en demeurent pas moins réelles. Miryam Djangala Fall n’a d’ailleurs jamais lu l’acte d’accusation. A l’époque, elle enfouit encore son drame au plus profond de son être sous une chape de honte.

« Esclave sexuelle »

Six ans plus tard, dans les locaux délabrés du Mouvement des survivantes de Centrafrique (Mosuca), dont elle est la coordinatrice, jouxtant dans le quartier Sica 2 de Bangui un chenal encombré de déchets, sa parole s’est libérée. Elle n’a que 14 ans début 2003 lorsqu’elle fuit avec sa mère l’avancée des hommes du MLC qui menacent son village de Liton, kilomètre 22, au nord-ouest de la capitale.

Les deux femmes ne vont pas loin, stoppées par une embuscade tendue sur la route par les miliciens avant qu’elles n’atteignent les collines où elles espèrent se réfugier. Sa mère résiste. Elle est éventrée sous ses yeux. Puis la soldatesque abuse de l’adolescente qu’ils laissent partir ensuite.

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Un autre calvaire approche là où elle ne l’attendait pas. Son oncle douanier ayant appris que sa nièce est vivante est venu la chercher pour la ramener chez lui à Bangui. Il y tient un petit motel avec sa femme. « Pendant trois ans, ils font de moi une esclave sexuelle au service de leurs clients », raconte Miryam Djangala Fall, la voix blanche, le regard franc fixé dans les yeux de son interlocuteur.

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« Ma tante, ajoute-t-elle, me fait avorter deux fois avec des médicaments puis un jour alors que je suis de nouveau enceinte à cause des viols, je m’enfuis de chez eux. » Elle accouche de cet enfant non désiré. « Je voulais qu’il meure, longtemps je l’ai rejeté », confesse-t-elle.

S’ensuit une période de répit, quelques années aux côtés de son compagnon. Jusqu’à cet été 2012. Depuis quelques mois, la Centrafrique est le théâtre d’une énième rébellion menée par la Séléka (« coalition » en sango, la langue nationale). Partie de l’extrême nord frontalier du Tchad et du Soudan, la Séléka finit, en mars 2013 par chasser François Bozizé du pouvoir. Miryam Djangala Fall se trouve sur leur route : « Le 13 septembre, trois Sélékas sont entrés chez moi. Ils m’ont tous violée. Mon mari n’était pas là, à son retour il m’a chassée. »

« Pour toutes les femmes silencieuses »

Les blessures génitales sont irrémédiables. « J’ai saigné pendant un mois, je suis entrée en dépression », dit la jeune femme qui, à bout de forces, se rend à l’hôpital. Elle y reste trois mois. « Mais je ne dis rien aux médecins sur ce qui m’est arrivé et eux ne me demandent rien. » Son silence dure encore près de sept ans avant que son corps ne sonne l’alarme et ne dise « stop » en 2020.

Les douleurs provoquées par les fistules obstétricales deviennent insupportables. Miryam Djangala Fall va se faire opérer et se confie : « Là, j’ai vu d’autres gens comme moi et je me suis dit que si je ne parlais pas de ce qui m’est arrivé, cela continuerait encore et encore. J’ai commencé à partager mon expérience. »

Enfant, la jeune femme rêvait d’être avocate. « Je prenais toujours la parole à l’école », confie-t-elle. A partir de 2020, Miryam Djangala Fall perfectionne son français avec une infaillible volonté. Le Mouvement des survivantes devient son prétoire. « J’ai réussi à transformer mes souffrances en force. » « C’est une combattante, une source d’inspiration pour toutes les femmes silencieuses », dit, admiratrice, Morgane Manda. Cette jeune femme de 24 ans travaille, parallèlement à ses études en relations internationales, à la Maison de la mémoire, centre culturel et d’assistance psychologique et sociale qui accompagne les victimes.

De la force, il en faudra beaucoup à Miryam Djangala Fall pour faire avancer la cause des survivantes. Les obstacles sont légion et peuvent sembler insurmontables tant le rapport de forces entre victimes et bourreaux est déséquilibré dans cet Etat dysfonctionnel. Les réparations auxquelles la coordinatrice du Mosuca et ses compagnes d’infortune devraient avoir droit se fracassent contre le mur de l’intérêt général invoqué pour préserver une paix fragile.

La RCA connaît en effet une période d’accalmie relative des violences. Un répit lié à la mise en œuvre de l’accord de paix de 2019 dit de « Khartoum » qui prévoit, entre autres, l’intégration des anciens rebelles qui acceptent de déposer les armes. « Autrement dit leur impunité. L’impunité des bourreaux au gouvernement, dans les quartiers, jusque dans nos maisons », dénonce Miryam Djangala Fall.

L’impunité des puissants

Que pèse en effet sa détermination face, exemple parmi tant d’autres, au poids politique d’un Hassan Bouba ? Ce dernier est le très influent ministre de l’élevage dans le gouvernement centrafricain. On le dit proche des Russes déployés dans le pays et nouveaux faiseurs de rois dans cette ancienne colonie française. Auparavant, Hassan Bouba était un haut responsable d’un groupe rebelle. C’est à ce titre et parce qu’il accepte de cesser le combat et convainc nombre de ses camarades à faire de même qu’il obtient son portefeuille ministériel.

Aussi, en novembre 2021, lorsque la Cour pénale spéciale, composée en partie de magistrats étrangers et chargée en RCA des dossiers les plus graves, le fait arrêter et l’inculpe pour « crimes de guerre » et « crimes contre l’humanité », Hassan Bouba ne reste pas plus de trois jours derrière les barreaux. Il est libéré, à la hussarde, par des éléments de la garde présidentielle formés par des instructeurs russes.

« Impunité », commente, laconique, un juge de la CPS où plusieurs dossiers consacrés aux violences sexuelles liées aux conflits sont en instruction. Et que dire de Jean-Pierre Bemba et de ses Banyamulengue ? Lui n’est autre que le vice-premier ministre de la République démocratique du Congo (RDC) voisine. Ainsi se dresse sur la route de Miryam Djangala Fall en quête de réparation morale pour toutes les survivantes, l’impunité des puissants abrités sous le parapluie de la raison d’Etat.

Parallèlement, et non moins problématique, il y a le poids de la société qui oppose ses tabous à la réalité des outrages en temps de paix. Miryam Djangala Fall exploitée par sa tante et son oncle traîne aussi ce boulet des violences ordinaires. Son fils ne sort plus beaucoup de sa chambre. Il a renoncé à ses études, las de porter l’opprobre jeté sur lui par des étudiants souillant le passé maternel et son rejeton.

« Blessures invisibles »

Or si, mécaniquement, les violences sexuelles en période de conflit décroissent en ces temps de paix relative, il n’en va pas de même de celles commises dans le cadre familial ou de proximité. Médecins sans frontières (MSF) est en première ligne pour réparer les dommages. En octobre 2023, l’organisation sortait un rapport sur ces « blessures invisibles ». « La violence sexuelle en RCA est une urgence de santé publique taboue et ne peut être traitée uniquement comme un problème lié au conflit armé », déclarait alors Khaled Fekih.

Ce directeur de MSF en RCA expliquait : « Malgré certains développements positifs au cours des cinq dernières années, de nombreux survivants et survivantes de violences sexuelles (95 % sont des femmes) ne signalent pas leur cas et ne cherchent pas à se faire soigner. Nous savons que le nombre de patients examinés [près de 20 000 de 2018 à 2022] n’est encore que la partie émergée de l’iceberg. Le gouvernement centrafricain et d’autres organisations humanitaires nationales et internationales doivent prendre des mesures plus concrètes pour remédier à cette situation. »

Un sujet qui irrite au plus haut point les autorités. « Elles sont très susceptibles sur ce sujet, c’est épidermique », confie sous couvert d’anonymat un professionnel de la santé. Le 19 avril, à l’issue de la publication d’une dépêche de l’agence Associated Press traitant de cette question, le ministre de la communication Maxime Balalou s’était fendu d’un communiqué dénonçant « ces affirmations [qui] ne visent qu’à propager des informations infondées dont le seul but [est] de ternir l’image du gouvernement ».

Miryam Djangala Fall sait cela, mais elle fait front, pour les autres femmes, question de survie personnelle aussi : « On m’insulte et on me menace anonymement. Je prends des risques mais parler, c’est aussi ma thérapie pour surmonter ma dépression ».

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