En Corse, un itinéraire touristique sur les traces de Saint Martin, patron des vignerons

Raconter le territoire corse à travers 1700 ans d’histoire par le prisme d’un itinéraire dans les pas de Saint Martin de Tours. C’est l’ambition de ce tracé qui s’inscrit dans le cadre européen. Un premier tronçon touristique de 15 kilomètres a déjà été inauguré entre Patrimonio et Ville di Pietrabugno ouvrant la promesse de routes reliant les sites martiniens de l’île. L’objectif est d’atteindre un itinéraire de 250 kilomètres pour proposer un tourisme culturel en Corse. Le point de départ s’écrit dans une légende née il y a 1700 ans, à la fin de l’Empire Romain. Martin, aussi nommé Martin le Miséricordieux, un ancien légionnaire de la garde de l’Empereur évangélise l’Europe à pied. 

Fuyant les persécutions, il séjourne plusieurs années sur l’île de Gallinara en Ligurie, non loin du Cap qui portera plus tard son nom, à quelques heures de navigation de la Corse. La légende dit qu’il parcourt l’île de Corse par ses montagnes qu’il affectionne. En arpentant le massif du Pigno, au pied du Cap Corse, la population, très pauvre, implore l’homme. Touché par leur générosité, il décide de débarrasser cette terre de tous ses maux. Depuis Teghjime, accompagné d’un geste de la main, il s’exclame : «Ce sera mon patrimoine, serà u mio Patrimoniu !» Ici, s’écrit l’histoire entre Patrimonio, commune du Nebbiu connu pour ses vignerons et Saint-Martin : «Il incarne le partage à travers le don de son manteau à un pauvre, recontextualise Christian Andreani, président du centre culturel « San Martinu » en Corse, chargé de labelliser le tracé. L’itinéraire lancé par le conseil de l’Europe s’étend sur plus de 5000 kilomètres de la Hongrie jusqu’à la France. Saint-Martin est un protecteur des lieux de production agraire. On va le retrouver dans des centaines de toponyme en Europe. Il invente le voyage et le pèlerinage. Nous travaillons depuis 15 ans sur ce projet pour montrer que la Corse a un énorme patrimoine Martinien.»

«À la Saint-Martin, le moût vaut du vin»

La Corse est ainsi la première étape de l’itinéraire sur une île méditerranéenne. En s’appuyant sur la vie de Saint Martin, largement documentée par un comité scientifique très actif, plusieurs itinéraires ont été mis en place en Europe, couvrant plus de 5000 kms de voie cartographiées et signalées. Le nombre de randonneurs, entre l’actuelle Hongrie, où est né Saint Martin, et la France où il est mort, est encore faible mais en hausse constante. Toutefois, ce parcours extrêmement long n’est pas à la portée de tous, aussi le Réseau développe des boucles locales qui permettent une découverte de la mémoire martinienne et des richesses patrimoniales locales sur une durée plus réduite accessible à tous publics.

Pourquoi avoir choisi Patrimonio ? La réponse est simple. Patrimonio est le nom donné par Saint Martin en personne pour exaucer le souhait des gens de la région qui avaient des calamités agricoles. «Pè San Martinu u mostu vale vinu», soit en français : «À la Saint-Martin, le moût vaut du vin». Ce dicton corse, fort connu, marque une étape importante dans la vie des vignerons corses, les vignaghjoli. C’est en effet le 11 novembre, jour de la Saint-Martin, que l’on tire ― spigulà ― le vin nouveau. La Corse des vignobles est en fête. Une fête traditionnelle qui a lieu tous les ans dans ce village de Haute-Corse les 10 et 11 novembre. Elle allie ferveur religieuse, recueillement et convivialité. Entre procession religieuse, marche en l’honneur de Saint-Martin, puis une messe dite par l’Evêque de Corse et chantée par A Cunfraternità San Martinu, est célébrée à l’église du village. Lors de ce rassemblement populaire, de nombreuses caves ouvrent leurs portes pour des dégustations de vin, permettant aux visiteurs de découvrir les saveurs locales.

Un tourisme différent

Le sentier entre Patrimonio et Ville di Pietrabugno labellisé Grit Access (Grand itinéraire Tyrrhénien accessible patrimonial et culturel), s’inscrit dans ce cadre naturel : «c’est une autre façon d’appréhender le tourisme, confie Christian Andreani. Des gens sont contents de voir des milliers de visiteurs à Ajaccio en une seule journée qui arrive par le biais des croisières. D’autres moins. Là il s’agit de faire un itinéraire rural sur les pas de Saint Martin. Nous avons tellement de retards sur la connaissance de l’histoire de la Corse. Il y a entre 1200 et 1500 églises romanes. Avec la vie des saints on raconte des œuvres d’art. L’idée c’est d’importer un tourisme culturel. Créer un réseau rural à partir de ces lieux.»

L’île veut se placer en laboratoire de ce nouveau tourisme avec ce projet : «la deuxième étape doit incarner une mission de 60 kilomètres jusqu’en plaine orientale, en Casinca. Le but est ensuite de descendre jusqu’à Bonifacio. Nous avons identifié de vieilles routes à une dizaine de kilomètres de la côte. C’est un long travail mais les institutions nous suivent.»

Le modèle se calque sur le pèlerinage de Saint-Jacques de Compostelle et ses milliers de visiteurs. Un exemple ambitieux qui fait rêver les passionnés de Saint-Martin dans l’île : «nous voulons créer un tourisme à l’année axé sur le patrimoine et la culture qui pourrait amener de petits flux réguliers de visiteurs. Le tourisme ce n’est pas vendre des pizze à 20 euros. Après, on s’étonne que les gens ne viennent plus. C’est le monde rural qui sauvera les villes. Beaucoup de personnes sont en recherche de spiritualité. Et cet itinéraire peut apporter tout ça.» A l’heure où le modèle touristique traditionnel s’essouffle dans l’île, d’autres acteurs proposent une autre voie, qui pourrait bien renouveler la manière de visiter la Corse…

Plus d’infos sur le site de l’office du tourisme Visit Corsica