« Elle tire légèrement la langue, donc tout le monde rigole, ça la vexe un peu, mais elle a compris que parfois les adultes rient quand ils trouvent un truc mignon »

Calée dans un coin, juste derrière la vitre coulissante, par terre, les coudes sur ses genoux croûtés à force de crapahuter sur les rochers jaunes et roses de la plage, elle mordille son bracelet hawaïen rapporté par son oncle, qui, elle en a marre, ne vient les voir en France qu’une fois par an. Elle fait la tête. Elle fait beaucoup la tête en ce moment, elle le sait, sa mère lui dit tout le temps, mais elle en a marre aussi que tout le monde se sépare dans cette famille.

Sa mère et son père, maintenant son père et sa belle-mère, donc la maison de papa, c’est fini et elle ne verra plus son demi-frère. Finito les bastons pour rigoler dans le canapé. Et aussi, elle est dégoûtée parce que sa mère n’a pas voulu qu’elle mette le bermuda noir de son frère, elle l’a forcée à enfiler un de ces petits shorts en éponge de couleurs vives, sous prétexte qu’il fait chaud et que c’est plus joli, pas de robe, pas de jupe, O.K., je veux bien, mais des trucs mignons au moins, tu t’habilles comme un prof d’EPS, ma fille.

Elle mâchouille les fils verts qui débordent du nœud et elle regarde les adultes jouer aux fléchettes et boire leur alcool qui donne mauvaise haleine de l’autre côté de la vitre. Enfin, il n’y a que les garçons qui jouent. Les filles ont essayé mollement au début et puis elles ont toutes dit qu’elles étaient trop nulles, qu’elles allaient crever l’œil de quelqu’un et elles se sont rassises entre elles à table, sur le côté, pour discuter, comme elles font tout le temps.

Elle a remarqué qu’elles avaient fait ça aussi l’autre soir, quand ils ont lancé une partie de pétanque. Deux, trois boules envoyées trop loin ou pas assez et elles se sont arrêtées tout de suite en disant qu’elles étaient trop mauvaises, vraiment pas un cadeau. Alors qu’on lui répète toute la journée qu’il faut avoir confiance, ne pas mal se parler, persévérer. Encore un truc qu’elle ne pige pas au royaume des adultes.

Les larmes montent

Comme elle a beaucoup trop envie d’essayer de lancer les grandes fléchettes bleues avec une pointe en métal, trop belles, trop stylées, elle se lève et demande, une fois encore, à sa mère si elle peut jouer avec eux. On lui dit encore une fois que c’est trop dangereux, que la cible est placée trop haut pour elle, qu’elle va se faire mal ou blesser quelqu’un et qu’on lui a offert une version enfant, avec des balles à scratch. Mais c’est nul un jeu de fléchettes sans fléchettes et puis elle a essayé, les boules ne collent pas. Allez steuplaît, juste une fois et tu restes à côté.

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