« Elle se sent si conne d’avoir imaginé que ce serait possible sans elle. Face à son absence, la voici repartie dans l’œil du cyclone du chagrin »

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Elle sait tout de suite qu’elle n’aurait jamais dû. En mettant le premier tour de clé dans la serrure du chalet. Tout de suite, à sa manière de ressentir le panorama montagneux qui s’étire, magistral, devant le balcon en bois clair. Une manière si différente de la première fois. Quand elles avaient ouvert la porte de ce chalet choisi en deux minutes sur Internet parce qu’elles en avaient ras la casquette de chercher depuis des semaines le lieu idéal pour écrire leurs livres, elles n’en étaient pas revenues.

La montagne, devant, leur avait collé des frissons de plaisir, poils debout dansant comme des petites flammes de joie sur les avant-bras. Chaque jour, un peu plus émerveillées devant ce paysage d’économiseur d’écran. Les alpages, en forme d’ondes chlorophylles, les pâturages aux airs de tableaux flamands quand venait taper le soleil et brouter les moutons, les petites forêts d’épineux serrés dressées comme des îles vierges.

Là, devant elle, seule, le monde magique et pastoral s’est évaporé et métamorphosé en un mur de pierre gris et écrasant, intraitable. Sans elle, ça va être raide. Elle pose ses sacs dans la chambre du bas, celle qui donne sur les écuries. Constate qu’il y a toujours autant de mouches et retrouve un peu de souffle quand elle ouvre la fenêtre. Elle remonte dans le salon et enjambe son propre vertige, passant au-dessus du fleuve noir qui semble traverser le plancher.

Minutes interminables

Après une première nuit merdique, elle fait comme si et reprend leur rythme, les mêmes horaires, les mêmes rituels. On ne change rien. Elle doit rendre son livre dans deux mois. A dix mille signes par jour, si elle charpente ses journées, comme avec elle, ça va le faire. Réveil à 7 h 30, premier café sur le balcon, elle écrit son journal et prépare la randonnée de récompense de fin d’après-midi. 8 h 30, sur sa chaise. Vissée pour cinq heures d’écriture, avec une pause tartines à 11 heures et c’est tout. Non négociable.

Pour le café-journal sur le balcon, ça fonctionne nickel, mais quand elle s’assoit sur sa chaise et ouvre son ordinateur à l’heure dite, nada. Des minutes interminables à se demander pourquoi elle s’impose un truc pareil. Elle n’y arrivera jamais. A chaque fois, c’est la même chose. Elle a beau en être à son sixième livre, à chaque livre, revenir au point zéro du savoir-faire, ignorante, engluée dans une bouillie obsessionnelle, à ne rien produire, à devoir traiter avec sa propre médiocrité, être perpétuellement déçue par soi-même, chaque matin ; pas une vie.

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