« Deux villes différentes, des milliers de kilomètres entre eux, chacun des enfants et un·e ex sur place, des cœurs cassés par des séparations sans pitié »

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Encore un peu plus que d’habitude, ce matin-là, elle redoute l’aube et son lot de couronnes mortuaires imposées. En temps normal, depuis qu’elle est en âge de vivre la nuit et ses accidents, elle se débrouille pour s’éclipser avant que le soleil ne pointe et vienne cracher sur les tombes, quand la nuit tient encore son manteau tout chaud, bien fermé, zippé jusqu’au menton.

Mais là, obligée, elle s’est laissé entraîner jusqu’au bout, nuit blanche, impossible de faire autrement. Assise à côté de lui sur le banc de l’Abribus du 84, celui qui mène à l’aéroport, il est 7 h 15, le jour se lève et elle ne veut plus le regarder. Les dernières heures, depuis la veille, 20 heures, rendez-vous donné devant un restaurant choisi par elle, parce que c’est sa ville et que lui, parti dix ans auparavant 2 000 kilomètres plus loin quelque part en Europe, ne sait plus rien, elle l’a tellement regardé que maintenant, à l’heure des adieux, elle a peur d’épuiser sa matérialité physique au point de le faire disparaître. De leur nuit, elle veut tout coffrer. Sur le banc froid, bras contre bras, flanc contre flanc, dans la cage de verre de l’abri, ils attendent son bus, six minutes annoncées et elle se colle, concentrée à l’enregistrer dans ces cellules.

Et pourtant. Quand ils ont commencé à s’écrire sur une de ses applis qu’elle hait de tout son cœur, sur lesquelles elle va rôder quelquefois, parce que quand même, deux à trois fois par an, par session, jamais plus d’une semaine, juste ce qu’il faut pour se souvenir que c’est au mieux la déchetterie du monde humain et que, merde, elle ne voit pas pourquoi elle paierait pour se faire maltraiter gratos par des inconnus, elle savait. Que tout était en place pour que tout ça ne soit que du présent. No future. Impossible de projeter. Deux villes différentes, des milliers de kilomètres entre eux, chacun des enfants et un·e ex sur place, des cœurs cassés par des séparations sans pitié. Chacun, des garde-fous de partout.

Confiance étrange

Et puis, sur des semaines d’été, l’un et l’autre dans leurs vacances jusqu’au cou, ils se sont écrit, un peu, beaucoup, passionnément, portés, chaque jour un peu plus, par la confiance étrange et l’immunité relative aux échanges avec des inconnus qui permettent de dire le fond de soi tout de suite.

Et puis, le rendez-vous avait été lancé. La porte du réel ouverte. Une affaire familiale à régler dans sa ville d’origine, j’arrive le 18, j’ai pris mes billets. Ils avaient pris leurs précautions et passé le tout au conditionnel. Il faut se méfier, hein, tant qu’on ne s’est pas vraiment rencontré, tant qu’il n’y a pas la peau, on ne sait pas. Il faut se renifler pour savoir, la partie animale, l’odeur, tout ça, faut que ça prenne… cette vaste question-là, devant laquelle tous les mots restent petits et impuissants.

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