Comment le rgime tunisien a limin un un les rivaux de Kas Saed la prsidentielle

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Le président sortant Kaïs Saïed veut faire la course à la présidentielle sans adversaire sérieux à ses côtés. Pour ce faire, il a commencé à les éliminer, un à un, depuis février 2023 avant de monter en cadence à la fin de l’été 2024. Récit d’une descente aux enfers de la démocratie tunisienne.

 

Il s’appelle Kamel Letaïef, il est lobbyiste notoire et il a la réputation de faire et défaire les ministres et les personnalités politiques, depuis l’époque Ben Ali. Dans son fameux bureau à La Soukra, le septuagénaire reçoit les plus hauts commis de l’État, les hommes d’affaires, les journalistes et tout ce qui compose la haute société tunisienne qui décide du sort du pays. M. Letaïef représente, par excellence, l’État profond comme ont l’habitude de dire ses très nombreux détracteurs, parmi ceux qui ignorent ce que lobbying veut dire. En 2011, il a été derrière la nomination de Béji Caïd Essebsi à la Kasbah puis l’a fortement soutenu en 2014 pour qu’il soit élu président de la République. En 2019, il a été derrière Abdelkarim Zbidi, mais son lobbying n’a pas été suffisant pour que l’ancien ministre de la Défense devienne président de la République.

Depuis février 2023, Kamel Letaïef croupit en prison, accusé de complot contre l’État, en l’attente d’un procès qui ne vient pas. Pas question pour le régime de Kaïs Saïed de laisser un homme si influent cuisiner quoi que ce soit pour déloger de Carthage, un président de la République qui s’est emparé des pleins pouvoirs en juillet 2021.

 

Celui-là s’appelle Khayam Turki et il dirige l’ONG politique « Joussour » (passerelles). Il est entré dans la politique depuis 2011 au sein du parti Ettakatol et il a été à maintes reprises pressenti ministre. En 2020, il a même failli être chef du gouvernement. Par l’intermédiaire de Joussour, M. Turki établit des liens entre différents acteurs de la scène politique tunisienne afin d’asseoir (ou plutôt rétablir) la démocratie en Tunisie. Outre les acteurs politiques tunisiens, il a eu quelques contacts avec des diplomates de grandes démocraties avec qui il s’est entretenu de la situation politique tunisienne délicate à cause de la mainmise du pouvoir imposée par Kaïs Saïed. Mais pas seulement. Khayam Turki lorgne le palais de Carthage. Il y pense tous les matins en se rasant. 

Mal lui en a pris, son ambition « démesurée » l’a fait jeter en prison en février 2023, accusé de complot contre l’État. Il y croupit encore en attente de son procès. On peut dire sans risque de se tromper que Khayam Turki est le premier présidentiable éliminé de la course par le régime.

 

Issam Chebbi, secrétaire général du parti Al Jomhouri. Actif dans la scène politique depuis des décennies, bien avant la révolution de 2011, M. Chebbi ambitionne d’aller à Carthage lui aussi. Pour ce faire, il a multiplié les contacts avec les personnalités politiques et médiatiques, mais aussi diplomatiques. Et hop ! Lui aussi est accusé de complot contre l’État et jeté en prison en février 2023.

Il est le deuxième présidentiable éliminé de la course présidentielle.

 

Ghazi Chaouachi, célèbre avocat, ancien ministre et ancien secrétaire général du parti centriste Attayar. Il fait partie des plus grands opposants à Kaïs Saïed et un des premiers à s’élever contre le coup de force de juillet 2021. Comme tous ses pairs, il a multiplié les rencontres avec les personnalités influentes nationales et étrangères. Lui aussi, il ne cache pas son ambition d’aller un jour à Carthage. Même tarif que les autres, ce troisième présidentiable est jeté en prison en février 2023 accusé, comme les autres, de complot contre l’État, et il y croupit encore. 

 

Lazhar Akremi, célèbre avocat, ancien ministre et ancien dirigeant du parti Nidaa. Il s’est mis à dos le régime Kaïs Saïed et, particulièrement sa ministre de la Justice Leïla Jaffel. Il a eu « l’indécence » d’annoncer sa candidature à la présidentielle devant le juge d’instruction dans une affaire montée de toutes pièces, en février 2023. Immédiatement, il a fait l’objet d’un mandat de dépôt. Contrairement aux autres, il a pu quitter la prison en juillet 2023, mais à condition de s’abstenir d’apparaitre dans tout endroit public. Pour continuer de jouir de sa relative liberté, ce quatrième présidentiable a abandonné ses ambitions présidentielles.

 

Rached Ghannouchi, ancien président de l’assemblée nationale, président du parti islamiste Ennahdha. On ne lui connait pas d’ambitions présidentielles, mais avec ses camarades du parti, il est capable de désigner un candidat sérieux, voire davantage. Et il préparait bien un remplaçant à Kaïs Saïed quand il a été arrêté en en avril 2023 avant d’être condamné à plusieurs peines de prison qu’il purge encore. Il n’est pas seul, parmi les islamistes influents de son parti qui auraient pu le remplacer pour parachever son œuvre. En prison aussi, Noureddine Bhiri, Abdelkarim Harouni, Abdelmajid Jelassi, Sahbi Atig, Ajmi Lourimi, Mondher Ounissi… Si aucune de ces personnalités n’a affirmé clairement ambitionner de devenir président, il n’en demeure pas moins que l’une ou plusieurs d’entre elles étaient capables, si elles étaient libres, de fédérer les islamistes autour d’un seul candidat sérieux.

 

Abir Moussi, ancienne députée, présidente du parti destourien PDL. Son activisme politique, sa vigueur et sa verve lui ont laissé croire qu’elle est candidate sérieuse pour succéder à Kaïs Saïed à Carthage. Elle n’a jamais caché ses ambitions, elle a tout un programme pour « sauver la Tunisie » des griffes de celui qui « commande tout seul ». Elle croyait à sa bonne étoile, mais aussi à ses centaines de milliers de partisans, héritiers du RCD, parti au pouvoir sous le régime de Ben Ali.

Elle est arrêtée en octobre 2023 devant le palais de Carthage pour une simple querelle filmée en direct avec un agent de la garde présidentielle à qui elle demandait une décharge. Depuis, cette sixième présidentiable est en prison. Et, depuis, elle a fait l’objet d’autres mandats de dépôt et même d’une condamnation suite à une plainte de l’instance électorale dont elle a mis en doute l’impartialité.

 

Samir Abdelli, avocat et candidat malheureux à la présidentielle de 2014. Il n’a pas affiché publiquement d’ambitions pour 2024, mais il semblerait qu’il s’y préparait sérieusement et très discrètement. Ce septième présidentiable a été arrêté en mai 2024, accusé d’être impliqué dans une affaire terroriste.

 

Lotfi Mraïhi, président du parti UPR. Comme quelques autres, il pense à Carthage tous les jours en se rasant. Candidat malheureux en 2019, il a bien préparé son entrée dans la course présidentielle de 2024. Il diffuse régulièrement des vidéos sur les réseaux sociaux dans lesquelles il critique violemment le régime de Kaïs Saïed et propose l’alternative. Juin 2024, il publie un ouvrage en arabe et en français de 150 pages représentant son manifeste de campagne. Il a été arrêté quelques jours après pour suspicion de blanchiment d’argent et de possession de compte bancaire à l’étranger. En outre, ce huitième présidentiable a été condamné à de la prison ferme pour falsification de parrainages lors de la présidentielle 2019.

 

Karim Gharbi, alias K2Rhym, rappeur, coqueluche des sondages, il se voyait sérieusement à Carthage. Il a fait beaucoup de lobbying, a fait des apparitions médiatiques dans des émissions à succès et a déblayé le terrain du pays profond. Juillet 2024, il retire officiellement le formulaire de candidature à la présidentielle et annonce ainsi son entrée dans la course. Immédiatement après, des membres de son équipe de campagne sont interpellés, accusés d’avoir distribué de l’argent pour acheter des parrainages et des voix. Août 2024, ce neuvième présidentiable est condamné à quatre ans de prison ferme, par contumace, pour corruption électorale.

 

Nizar Chaâri, homme de médias et candidat malheureux à la présidentielle de 2019. À travers sa fondation Tunivisions, il a taillé le pays profond pour aller au plus près de la population, sans jamais cacher ses ambitions présidentielles. Quelques jours après avoir retiré son formulaire de candidature, ce dixième présidentiable a été condamné en août 2024 à huit mois de prison ferme (sans exécution) et une interdiction à vie de se présenter aux élections, et ce pour falsification de parrainages et octroi de dons pour influencer les électeurs. Il a été acculé à se retirer de la course.

 

Mohamed Adel Daou, ancien militaire, totalement inconnu de la scène politique, cet onzième présidentiable avait de grandes ambitions pour Carthage. Tout comme M. Chaâri, et au cours de la même audience, il a été condamné à la même peine de prison et à la même interdiction à vie de se présenter aux élections.

 

Mourad Massoudi, ancien magistrat, révoqué par Kaïs Saïed, il a retiré le formulaire de candidature à la présidentielle et tablait sur les voix des islamistes. Sauf que voilà, il a été condamné à huit mois de prison ferme par contumace juste après l’annonce de sa candidature. Ce douzième présidentiable a dû se retirer de la course.

 

Leïla Hammami, candidate malheureuse aux présidentielles de 2014 et de 2019, elle a retiré le formulaire de candidature pour celle de 2024. En dépit de ses très faibles chances et de la forte suspicion que sa candidature est fantaisiste, cette treizième présidentiable a été condamnée par contumace aux mêmes peines, le même jour et à la même audience, que les trois précédents.

 

Abdellatif Mekki, ancien ministre de la Santé, chef du parti « Âmal wa injez », candidat très sérieux des islamistes, il n’a pas fini avec les déboires depuis qu’il a annoncé sa candidature.

Juillet 2024, un juge d’instruction l’interdit d’apparitions dans les médias, de voyage et de quitter la délégation d’El Ouardia où se trouve son domicile. Août 2024, il est condamné à huit mois de prison ferme (sans exécution) pour falsification de parrainages.

Contrairement aux autres, il n’est pas du tout intimidé, maintient sa candidature et poursuit sa campagne grâce à son équipe qui collecte, pour lui, les dix mille parrainages populaires requis. L’instance électorale refuse cependant son dossier prétextant qu’il n’aurait pas respecté les quotas de 500 parrainages dans dix circonscriptions. Sûr de son bon droit, il se dirige vers le tribunal administratif qui finit par lui donner raison. En dépit de cela, et bien que les décisions du tribunal administratif soient définitives et irrévocables, l’instance électorale rejette quand même la candidature de ce quatorzième présidentiable le 2 septembre 2024, une journée qualifiée de noire pour la démocratie tunisienne et l’Etat de droit.

 

Imed Daïmi, ancien chef de cabinet de l’ancien président Moncef Marzouki, dirigeant d’une ONG anticorruption, il a annoncé sa candidature à la présidentielle sur le tard. Son dossier a été rejeté par l’instance électorale au prétexte qu’il n’a pas réuni suffisamment de parrainages, qu’il n’a pas respecté les quotas dans toutes les circonscriptions. Il a saisi le tribunal administratif qui a fini par lui donner raison. Comme Abdellatif Mekki, l’instance électorale a quand même rejeté la candidature de ce quinzième présidentiable et a jeté, le 2 septembre, la décision du tribunal administratif à la poubelle.

 

Mondher Zenaïdi, plusieurs fois ministres sous Ben Ali, candidat malheureux à la présidentielle de 2014, il croyait fermement en ses chances, tablant sur un grand soutien populaire de plusieurs familles politiques. Comme beaucoup d’autres, il a eu droit à quelques déboires judiciaires, mais sans lendemain, le dossier était désespérément vide et son innocence éclatante.

Comme les deux précédents candidats, son dossier a été rejeté par l’instance électorale pour nombre de parrainages insuffisant. Mais ce n’était pas l’avis du tribunal administratif qui l’a remis dans la course. Comme pour les deux autres, l’instance électorale a jeté à la poubelle le 2 septembre la décision du tribunal éliminant du coup ce seizième présidentiable. 

 

Ayachi Zammel, homme d’affaires et ancien député, il fait partie des trois seuls candidats dont le dossier a été accepté par l’instance électorale. Aussitôt son dossier accepté, il s’est retrouvé mêlé à des dizaines d’affaires de falsification présumée de parrainages. Les formulaires ont beau comporter les photos des candidats, il s’est trouvé des parrains qui ont affirmé ne pas avoir soutenu M. Zammel et qu’ils aient été trompés par des membres de son équipe de campagne.

Il a été arrêté hier, lundi 2 septembre, et placé en garde à vue pour 48 heures prolongeables une fois. Date coïncidant avec le deadline fixé pour que les candidats retirent leur candidature. En dépit de son incarcération, ce dix-septième présidentiable n’a pas flanché et reste encore dans la course. Pour combien de temps encore ?

 

Ces seize candidats et prétendants ont tous été éliminés par une justice réputée être aux ordres et par une instance électorale qui fait l’objet de toutes les critiques et les mises en doute quant à sa neutralité. Il y a une bonne dizaine d’autres candidats à la présidentielle qui ont été éliminés à la régulière par l’instance électorale pour des motifs jugés sérieux, à l’instar de Dhaker Lahidheb, Safi Saïd ou Roukaya Hafi. D’autres candidats ont estimé avoir été lésés par l’instance électorale et ont saisi le tribunal administratif qui les a déboutés, à l’instar de Abir Moussi et Neji Jelloul.

Quoi qu’il en soit, et au vu de la polémique déclenchée par le refus de l’instance électorale de se soumettre aux décisions obligatoires du tribunal administratif et au vu de la détention de plusieurs présidentiables, la présidentielle de 2024 semble loin, très loin, des standards internationaux et des pratiques courantes dans les pays démocratiques.

Le terrain a été défriché pour que Kaïs Saïed ait le maximum de chances de rempiler pour cinq nouvelles années, sans avoir de rivaux sérieux à ses côtés.

 

Raouf Ben Hédi

 





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