«Bordeaux doit être plus sexy !» : le coup de gueule de Laurent Fortin, directeur de Château Dauzac, sur la crise du vin bordelais

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En pleine crise, les vins de Bordeaux peinent à relever la tête et à trouver de nouveaux leviers de consommation. Laurent Fortin, directeur de Château Dauzac à Margaux, dresse un état des lieux sans concession.

Nous étions à la recherche d’un acteur incontournable du Bordelais pour nous parler de la crise traversée par le plus célèbre vignoble du monde, sur fond de déconsommation. Problème, la langue de bois et les discours convenus se sont dressés sur notre route, rendant tout projet d’entretien assez vain. Puis l’occasion s’est présentée d’une rencontre avec Laurent Fortin, directeur de château Dauzac, à Margaux. Dynamique, volubile, cet homme de 55 ans rappelle souvent ses origines, non pas bordelaises, mais aveyronnaises. Comme pour mieux faire comprendre que le commerce coule dans ses veines. Ils sont peu, en effet, parmi les directeurs de domaines, à autant mouiller la chemise pour aller au contact du consommateur direct et in fine vendre leur vin. Laurent Fortin, également à la tête de la Bégude, à Bandol, nous livre ses impressions sur l’état du vignoble bordelais, après une campagne des primeurs ayant laissé une blessure à vif et des premières salves d’arrachage, un crève-cœur devenu réalité en 2024.

Quel regard portez-vous sur la crise traversée par le Bordelais ?

Bordeaux a des fondamentaux superbes, avec de magnifiques terroirs, de grands vins, mais une viticulture à deux, voire trois vitesses. Vous avez les stars, autrement dit les premiers grands crus classés qui n’ont besoin de personne pour exister, les crus classés, dont fait partie Dauzac, qui se débrouillent… et le reste, qui sont considérés comme la plèbe. Aujourd’hui, le système de distribution à Bordeaux a besoin de changer, de se mettre au goût du jour.

C’est-à-dire ?

En se rapprochant des clients déjà, en devenant prescripteur. Les Bordelais ne sont plus prescripteurs depuis Parker (Robert Parker, célèbre critique de vin, NDLR). Ils prenaient la note, la montraient au client et vendaient leurs vins. Aujourd’hui, Parker n’est plus là. Les négociants sont donc moins prescripteurs et n’ont plus de contact avec le consommateur. Par ailleurs, avant, c’était simple de vendre du vin en Chine, mais on ne s’est jamais posé la question de savoir si c’était pérenne. Aujourd’hui, on se rend compte que ça ne l’était pas. Finalement, Michel Rolland dit la vérité quand il déclare que la Place de Bordeaux (terme regroupant les négociants qui vendent le vin des châteaux, ainsi que les courtiers, NDLR) ne sait plus vendre autre chose que les grands crus classés. Aujourd’hui, les négociants font du trading et n’ont plus de valeurs ajoutées. Comme dans toute équation économique, lorsqu’il n’y a pas d’ajout de valeur, on meurt.

En quoi les négociants peuvent-ils être générateurs de valeur ?

En offrant un service, en s’adaptant aux besoins des clients. À part proposer des vins étrangers très chers, il n’y en a pas un qui propose des choses innovantes, par exemple des packs avec d’autres vins français mélangés à des bordeaux. C’est un exemple, mais les négociants bordelais sont trop bordeaux-bordelais. Ils ne sont pas force de proposition.

Quelle est la priorité, les vins en eux-mêmes ou la façon de les vendre ?

Il faut certes faire évoluer les vins, mais il faut surtout les marketer. L’étiquette à la papa avec le château derrière, ce n’est plus possible. À Bordeaux, les propriétaires ont toujours eu honte d’aller au contact du consommateur. Il faut faire des vins qui se boivent jeunes, y compris sur des appellations de prestige comme Margaux.


Parce que Bordeaux n’est pas innovant, ni prescripteur. La région manque de personnalité forte, innovante, capable de faire bouger les lignes.

Laurent Fortin, directeur de Château Dauzac à Margaux

Prenons un exemple : le bordeaux-clairet . Pourquoi les Bordelais ne cherchent-ils pas à valoriser un vin historique de la région et qui correspond aux attentes du consommateur avec des vins légers, sur le fruit, et décomplexants ?

Parce que Bordeaux n’est pas innovant, ni prescripteur. La région manque de personnalité forte, innovante, capable de faire bouger les lignes. Après les vins de garage des années 1990, qui ont eu leur succès, il n’y a pas eu de mouvance. Des gens font encore des vins comme à l’époque de Parker et ils trouvent ça formidable, sans jamais se remettre en question. Aujourd’hui, pourtant, Bordeaux est dans une situation où les choses peuvent changer. Pour cela, il faudrait que toute la filière se mobilise, mais je ne suis pas sûr que les têtes dirigeantes soient assez clairvoyantes pour connaître leurs propres marchés. Ce changement reste isolé à quelques acteurs.

Quand on interroge les Bordelais, beaucoup revendiquent d’être innovants, notamment avec l’œnotourisme…

Certains le font vraiment, mais on reste très loin de ce qu’on voit en Italie ou en Espagne, où on est vraiment bien accueilli. Chez nous, il faut venir à telle heure, jamais entre midi et deux, encore moins le dimanche… J’ai vécu 20 ans aux Etats-Unis, je peux vous dire qu’à Napa, on prend une claque. Il faut trouver des solutions.

Quelle autre solution que de réduire la production ?

Il faut réduire la production qui n’est pas qualitative. À ce propos, ce n’est pas 8 000 hectares qu’il fallait arracher, mais 30 000. Il faut tirer vers la qualité. Le consommateur veut des vins bons, qualitatifs…

…et bio ?

C’est secondaire. Dauzac est en bio car c’est notre philosophie, mais le client s’en fiche, il n’est pas prêt à payer ne serait-ce que 10% plus cher pour un vin bio. C’est un secteur en net recul dans les ventes de l’agroalimentaire. Pour moi, Bordeaux doit se renouveler, tant dans les vins que dans le marketing. Bordeaux doit être plus sexy !


Il y a un problème de coordination. Bordeaux ne connaît pas son consommateur.

Laurent Fortin, directeur de Château Dauzac à Margaux

Vous ne semblez pas le seul à le penser et pourtant rien ne bouge à échelle collective…

Je suis l’un des seuls à le dire, en tout cas. Il y a un problème de coordination. Bordeaux ne connaît pas son consommateur. On a créé le D de Dauzac blanc, c’est super à l’apéro. On a fait 300 000 bouteilles cette année, contre 30 000 il y a deux ans. J’essaye de correspondre aux attentes du marché et on n’est pas assez à le faire.

Quel est l’avenir de la vente de vin en primeurs à Bordeaux ?

L’effet dévastateur des primeurs 2023 va se ressentir quand la trésorerie ne rentrera pas en décembre prochain, lors de la première traite. À part pour quelques marques, les primeurs, c’est fini. Quel est l’intérêt pour les autres ? Quand vous sortez des vins en livrables moins chers qu’en primeurs, c’est révélateur. Car c’est déjà arrivé.

La crise que connaît Bordeaux est-elle à son paroxysme ?

Non, pas du tout. Je pense que le creux de la crise arrive. Le pire est à venir, avec des institutionnels, comme des compagnies d’assurances qui ne croient plus dans le vin et qui vont vendre des propriétés. Des petites, mais aussi des grosses, sont déjà en vente. Le problème, c’est qu’ils en espèrent trop d’argent. Personne ne peut s’aligner sur ces prix-là, d’autant plus qu’un domaine viticole, c’est du long terme.

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