CRITIQUE – Dans cette série en six épisodes, fable au confluent des univers des frères Coen et de Wes Anderson, l’acteur trouve un emploi détonant.
Alors qu’ils promènent leurs chiens sur une plage désolée du Yorkshire, deux inconnus (Daisy Haggard et Paterson Joseph) découvrent un chalutier échoué. À bord, deux cadavres, le convoyeur et un flic, et plusieurs millions de livres de cocaïne. Le butin permettrait à Samuel, un avocat en droit pénal accro au jeu, d’éponger ses dettes et à Janet, ouvrière qui a perdu des doigts dans un accident du travail, de faire enfin tourner la roue de la fortune. Sauf que le baron de la drogue, à qui appartient la cargaison, compte bien la récupérer ! Campé par Tchéky Karyo, ce trafiquant cinéphile tiré à quatre épingles, surnommé « le Tailleur » et adepte des formes de torture les plus créatives, est d’une excentricité brutale. Les moyens qu’il déploie face à ces amateurs du crime s’avèrent disproportionnés. Un commissariat entier fera les frais de ses hommes de main !
« Le pire de l’humanité »
Les frères Williams, auteurs du survitaminé Le Touriste, ont souhaité rendre hommage au pouvoir du récit et des histoires. Pourquoi les transmettons-nous aux autres ? Pourquoi se laisse-t-on bercer voire obnubiler par elles ? Les six épisodes de ce qui ressemble à un conte moral sont rythmés par des cartons qui rappellent l’âge d’or du cinéma muet. Un narrateur impertinent offre aussi ses commentaires. Un trait fort à la mode dans la fiction britannique comme en témoignent My Lady Jane et La Chronique des Bridgerton.
Devenue une star outre-Manche en prêtant ses traits à l’héroïque détective de la série Baptiste, des mêmes Jack et Harry Williams, Tchéky Karyo se dit ravi d’inverser la vapeur et de retrouver un rôle de méchant aussi juteux que celui de Dobermann de Jan Kounen. « Le Tailleur est un dealer malchanceux. C’est la deuxième fois que son stock de drogue disparaît en pleine nature. Il y voit forcément un acharnement de ses rivaux, un coup de maître de génies du crime. Il élabore des ripostes élaborées, sans se douter que les coupables sont deux badauds naïfs, servis par un hasard facétieux et macabre », note le comédien, qui salue le style lapidaire des Williams « capables de saisir le pire de l’humanité ». Il attribue au duo la résurgence de sa carrière à 70 ans passés. « On me confie des rôles de gens ordinaires : médecin de campagne, grand-père. »
Et de prévenir les âmes les plus sensibles : « Le Tailleur est un type qu’on imagine en pleine maîtrise. En fait, il ne contrôle rien. Son rapport aux autres est aussi surprenant. C’est un homme à tiroirs, à la double, voire à la triple personnalité. Plus il se montre gentil et calme, plus il est dangereux. » Toute cette violence n’empêche pas les sentiments. Le redouté Français tombe sous le charme de Pat Tooh, pâtissière de son état et mère du policier vite dépassé par ces cadavres qui s’empilent. Ses gâteaux, même les plus anglais et les plus rustiques comme les sponge cakes et les carrot cakes, agissent sur Le Tailleur comme une irrésistible madeleine de Proust.
Polar aux personnages pittoresques que n’auraient pas reniés les frères Coen, Boat Story pétille d’absurde, ose tous les décalages et se glisse dans des genres inattendus (romcom, spectacle musical en forme de mise en abyme assumée). Cette comédie noire foutraque, entre deux giclées d’hémoglobine, arrive même à marcher dans les pas poétiques de Wes Anderson.
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