Benoît Lengaigne, économiste : « Je savais que l’alimentation pouvait être un vrai “sujet Sciences Po”, pluridimensionnel »

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Je suis tombé dans le vin quand j’étais petit. Tous mes jobs d’été, dès la fin du collège, je les ai faits au chai de mon oncle paternel. C’était une entreprise familiale fondée par mon grand-père, qui a démarré par du négoce de vin et s’est peu à peu orientée vers le demi-gros : on traitait beaucoup avec les Anglais, et les restaurants outre-Manche. Voilà pour ce qui est du « boire ».

Quant au « manger », mon mets fétiche, ce sont les kippers. Ce sont des poissons entiers, généralement des harengs, fendus de la tête à la queue, vidés, aplatis, désarêtés, salés et fumés à froid, ce qui leur donne leur couleur brun-rouge. Les kippers, ça sent fort et ça colle à la peau. Leur nom provient probablement du néerlandais, et les Britanniques y font référence dès le XIVsiècle, en lien avec la pêche au saumon dans la Tamise et en Irlande.

C’est une spécialité de Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais), ma ville natale et premier port de pêche européen, qui, chaque année, fête le hareng sous toutes ses formes. C’est un souvenir d’enfance puissant et odorant, lié aussi à mon histoire familiale. Car mon autre oncle (du côté de ma mère) était mareyeur et saurisseur, il achetait, séchait et fumait les poissons.

La famille se retrouvait souvent chez lui, autour de kippers réchauffés au barbecue. On les mangeait chauds ou tièdes, en les détachant progressivement de leur peau, accompagnés d’une salade de pommes de terre et de légumes grillés, et l’odeur ne me lâchait pas. Mon oncle maternel achetait du vin à mon oncle paternel, et lorsque je faisais la caisse le soir, au chai, je reconnaissais les billets de l’oncle maternel à leur odeur. De sorte que pour moi, l’argent a une odeur, celle des kippers, qui associe le manger et le boire.

Le vin, c’était le lien entre mon père et moi

J’ai grandi avec un père sourd, qui, à la surprise générale, s’était marié, avait eu deux enfants et avait appris seul à lire sur les lèvres. Je n’ai jamais eu mon père au téléphone, jamais eu de conversations politiques, personnelles ou intimes avec lui. La seule chose dont on ait vraiment discuté ensemble, c’est le vin, car lui aussi a travaillé au chai. Le vin, c’était le liant et le lien entre nous.

J’ai suivi des études d’économie, j’ai été professeur de lycée à Saint-Amand-les-Eaux, avant d’obtenir un poste à Sciences Po Lille, en 2008. Je suis devenu directeur adjoint, puis directeur, en 2014. Au bout de quatre ans, après avoir déménagé l’école, j’ai fait un gros burn-out et j’ai mis trois mois à m’en remettre. J’ai bien failli tout lâcher. Pour rester au sein de l’IEP, il me fallait créer quelque chose d’atypique, faire ce que j’avais dans le ventre et dans la tête : c’est ainsi qu’est né le projet BMV (« boire, manger, vivre »).

Je savais que l’alimentation pouvait être un vrai « sujet Sciences Po », pluridimensionnel. Je voulais mettre en place un parcours ancré dans le concret, avec l’environnement au cœur. Il s’agissait de donner l’espoir d’agir ensemble, avec les angles de la culture et de l’écologie. Ce que je souhaite, c’est que mes étudiants soient heureux de se lever le matin : c’est la première condition pour avoir envie de changer le monde.

bmv.sciencespo-lille.eu

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