Au festival Images de Vevey, Paul Graham sonde les visages du passé

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Des hommes et des femmes marchent seuls dans la rue, face au soleil. Ils ont les yeux fermés. On ne sait à quoi ils pensent, s’ils sont heureux, souffrent, rêvent, s’ils se rendent au travail ou chez l’être aimé. Leur force est d’être à la fois familiers et irréels. Comme des aliens tombés d’une autre planète.

Ces portraits photographiques ont été réalisés en 2004 sur la 42e Rue de New York. Il y a vingt ans, autant dire une éternité. Juste avant le tsunami numérique. Pas de téléphone portable dans la main pour dialoguer avec un proche ou se plonger dans un flot d’images. Pas d’oreillette pour écouter de la musique. Pas d’autre choix que de se confronter à soi-même ou de se perdre dans ses pensées.

Modèles involontaires

L’auteur des images, Paul Graham, Britannique de 68 ans installé à New York, a révolutionné la photographie documentaire à partir d’un protocole ambitieux : « Montrer que la réalité n’est pas seulement visible. » La rue et l’espace public sont ses terrains privilégiés. Il est l’invité de marque du festival Images, à Vevey, en Suisse, où il expose un tirage géant de passant sur une façade aveugle et une cinquantaine d’autres sur la place principale de la ville, dans une partie herbée, face au lac Léman.

Graham a patienté vingt ans avant de dévoiler ces passants absorbés. Il fallait attendre qu’ils prennent du sens, dit-il. Mais encore ? « En deux décennies, ils sont devenus des étrangers. » Des étrangers à eux-mêmes, à la société, à la paisible et balnéaire Vevey aussi, si loin du tumulte de la 42e Rue, qui était, en 2004, autour du quartier de Times Square, un concentré de violence et de sex-shops.

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Que ces modèles involontaires sortent de l’ombre renvoie à la question du droit à l’image. Ces derniers, ici et maintenant, ont peu de possibilités de se reconnaître. Mais Graham est conscient qu’avec cette série intitulée « Sightless » (« aveugle »), il tutoie le paparazzi captant des gens désarmés. Même s’il déclenchait à 2 ou 5 mètres seulement des visages, s’il ne se cachait pas, si certaines personnes l’ont remarqué, lui ont souri. Tout en étant hostile aux paparazzis, Paul Graham trouve tragique que la tradition de la photographie dans la rue se délite, par peur des procès. Il ne se voit pas faire signer une autorisation à un passant avant que ce dernier adopte une pose narcissique comme sur Instagram.

Avant d’exposer sa série « Sightless », il s’est toutefois demandé ce qui rend acceptable de voler l’image de quelqu’un. Etre un artiste ne suffit pas, dit-il. Il faut établir un projet sérieux, pensé, créatif, éthique même. Déjà, il a écarté toute image anecdotique, où les sujets sont à leur désavantage ou ont l’air stupides – par exemple avec un doigt dans le nez. Il ne montre pas des gens pour ce qu’ils sont, mais pour ce qu’ils révèlent. « Ils forment ensemble les sentiments de la comédie humaine. » Les yeux sont clos, mais les visages très vivants. Ils ne surgissent pas par hasard. Graham a opéré par beau temps, après 17 heures, quand le soleil rasant vient aveugler les passants.

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