À Visa pour l’image, le photographe Pierre Faure fait revenir la « France périphérique » au centre de l’objectif

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La salle d’exposition de l’hôtel Pams, à Perpignan (Pyrénées-Orientales) est exiguë. La jauge est limitée à 35 visiteurs. Le flux est continu, porté par une vague d’émotion palpable. Cette jeune femme d’une trentaine d’années sèche ses larmes après avoir dévisagé seulement les deux tiers des images en noir et blanc de la « France périphérique », l’exposition montée par le photographe Pierre Faure pour l’édition 2024 du festival Visa pour l’image.

Ce sont des portraits des invisibles et de quelques paysages étonnants, loin des emprises métropolitaines. Comme cette banderole en Creuse qui annonce, au virage d’une petite route, la présence, un peu plus loin, d’une « discothèque, deux salles, piscine ». Tous vivent ou survivent au bout du bout des chemins où plus personne ne vient, dans des villages qui ont perdu depuis longtemps l’éclat joyeux des vitrines de leurs boutiques.

Cette jeune femme bouleversée ne visite pas une exposition. Elle remonte le fil de ses origines rurales, dans la cohorte de ceux qui « quittent un à un le pays, pour s’en aller gagner leur vie loin de la terre où ils sont nés », comme l’écrivait et le chantait l’Ardéchois d’adoption Jean Ferrat, mettant en musique l’exode rural. Ce mouvement a poussé la jeunesse de France vers les ateliers industriels des villes et les bureaux des grandes administrations françaises pendant des décennies. Ici, pour cet accrochage, point de musique, juste le silence et quelques chuchotements à la reconnaissance d’une « cuisinière » de la grand-mère qui faisait la cuisine le chauffage et l’eau chaude dans une bouilloire intégrée.

Une visiteuse s’attarde devant des portraits au centre de l’exposition « France périphérique » de Visa pour l’image 2024. LP/Christian Goutorbe

Ce sont des regards francs, sincères, offerts au photographe qui a su se glisser dans leur intimité à force de patience. Ce sont les visages que la misère et la précarité ont burinés, torturés à force de désespoir, de privation, d’accidents de la vie, de mauvaise fortune avec de petits troupeaux comme cet éleveur des Vosges qui a perdu dix brebis dans une attaque de loup et même l’entièreté de son cheptel traumatisé après cette nuit d’épouvante animale. Pour capter cette intimité, Pierre Faure, 53 ans, a sillonné, sans jamais désemparer, la moitié de la France depuis 2015.

« La France périphérique, ce n’est pas seulement la France rurale »

« J’ai commencé par le Var, parce que c’est là que vivent mes parents. J’y étais logé et il me suffisait de me déplacer aidé dans mes recherches par le Secours populaire et différentes associations caritatives », explique Pierre Faure, qui travaille en économie de moyens. Il a démarré la documentation photo de la France des exclus par un bidonville de Tsiganes en banlieue parisienne. « Cela m’a pris un an pour obtenir ce que je recherchais. Prendre ce temps, son temps, c’est un véritable luxe. C’est la condition nécessaire pour entrer dans l’intimité, dans l’humanité des personnes. Pour moi, illustrer un territoire cela peut représenter une année scolaire du lundi au vendredi », poursuit Pierre Faure, chercheur infatigable en quête de paysages et de personnages.

René, éleveur à la retraite rencontré par Pierre Faure en 2016 dans le Puy-de-Dôme,
René, éleveur à la retraite rencontré par Pierre Faure en 2016 dans le Puy-de-Dôme, « vivait dans des conditions extrêmement difficiles. Il a vécu l’appauvrissement progressif de sa profession et savait que son monde était en train de disparaître », explique le photographe. ©Pierre Faure/Hans Lucas

Il a ensuite sillonné la Normandie, les Hauts-de-France, le Puy-de-Dôme, la Creuse, le Cantal. Il a documenté la déprise commerciale des petits villages et le désespoir des paysans qui ne peuvent plus atteindre la rentabilité de leurs terres nourricières. Mais il va aussi plus loin : « Attention, la France périphérique, ce n’est pas seulement la France rurale. Elle est aussi dans les quartiers des villes moyennes. Et ce n’est pas non plus la marge », argumente-t-il. « En 2021, la France comptait plus de 9 millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté, fixé à 1 158 euros pour une personne seule et à 2 314 euros pour un couple avec deux enfants. Et, comble pour un grand pays de production agricole, entre 2 et 4 millions de personnes ont recours à l’aide alimentaire en France. Cette pauvreté avait baissé dans les années 1970, s’était stabilisée dans les années 2000, avant d’augmenter à nouveau à partir de 2008. » Le photographe note chez toutes ces populations abandonnées à leur sort un même besoin d’être écouté.

Au lendemain de Visa et de l’émotion intense de ses visiteurs, Pierre Faure va reprendre la route, destination l’Occitanie, sans doute l’Aude, l’un des départements les plus pauvres de Métropole, avant de scanner la Bourgogne et de rêver des montagnes. Un tour de l’histoire contemporaine de la France. Pierre Faure a reçu samedi soir le Visa d’Or des Solidarités pour son travail sur la « France Périphérique ».

Pratique : l’exposition « France Périphérique » fait partie du festival Visa pour l’image de Perpignan. Elle est présentée à l’Hôtel Pams (18, rue Émile Zola) jusqu’au 15 septembre. Tout le programme de Visa : visapourlimage.com



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