À Milan, le bolide, la pop star et l'enfant

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La Fashion Week italienne s’achève sur les chapeaux de roues avec le vestiaire bien carrossé de Ferrari, l’hommage à Madonna de Dolce & Gabbana et, surtout, une trop rare ode à la liberté chez Bottega Veneta.

Samedi matin, une superbe 250 GT Lusso d’un bronze doré est stationnée devant le lieu du show Ferrari. Comme ce n’est probablement pas un hasard, on pense reconnaître des variantes de la teinte quelques minutes plus tard sur le podium : un long manteau tirant vers le brun doublé de rouge enfilé sur peau nue par le top Irina Shayk ; une robe croisée en soie presque rouille sur la très chic Jeanne Cadieu ; un pantalon en cuir acajou porté par un homme fort musclé et un poil déconstruit avec ses lunettes de vue et ses ballerines lacées… Si la marque du constructeur de Maranello (lancée il y a trois ans) ne réserve pas son vestiaire qu’aux heureux propriétaires de ses bolides – soit 13 000 dans le monde -, le directeur artistique Rocco Iannone est très à l’écoute de leurs attentes et leurs désirs. D’après lui, ils recherchent donc des vêtements de très haute qualité (beaucoup de cuir, du cachemire, des soies, mais aussi cette fois, un denim délicatement effiloché), des coupes mettant en valeur le corps (visiblement aussi bien entretenu que leurs cylindrées), un stylisme qui ne part pas dans des délires de créateur et qui reflète l’art de vivre hors norme de ces privilégiés. Au fur et à mesure des saisons, l’identité de la mode Ferrari prend forme, à la fois sexy et statutaire, avec cette touche de fantaisie dans les sacs boîtes à outils ou ce charmant imprimé gris et jaune d’un dessin au crayon années 1950 évoquant la vitesse.

Défilé printemps-été 2025 Dolce & Gabbana.
Isidore Montag / Gorunway

Quelques heures plus tard, chez Dolce & Gabbana, les clientes qui n’ont pas lésiné sur la chirurgie esthétique ont, elles aussi, sorti leurs plus beaux atours. Ce samedi, l’ambiance est encore plus électrique qu’à l’accoutumée. On murmure que Madonna va venir alors que ses meilleurs tubes des années 1980 passent en bande-son. Notre voisine s’inquiète déjà du retard que va prendre le show… Et pourtant, trente minutes seulement après l’heure (donc à l’heure pour un défilé), la superstar, toute petite, cachée sous une mantille noire, fait son apparition au premier rang. Le spectacle peut commencer, le rideau s’ouvre, et là, sur les marches d’un escalier en courbe, six créatures blondes prennent la pose, en robes corset blanche, rose dragée, noire ou rouge rubis assorties à des boas en fourrure, en tailleur jupe crayon ou en trench suffisamment ouvert pour dévoiler une brassière… Elles ont les cheveux peroxydés et crantés retenus par un bandeau noir, sont perchées sur des ballerines de danseuse à talon, balancent leurs miniminaudières au bout des doigts. Elles rejouent bien sûr la période Madonna-Marilyn. Celle de « Blonde Ambition Tour » (1992) où la pop star défiait le monde dans son iconique corset à seins coniques et son tailleur à rayures banquier d’Express Yourself… créés par Jean Paul Gaultier !

Étrange… Non seulement la référence est on ne peut plus claire, mais les Dolce & Gabbana auraient pu choisir bien d’autres périodes vestimentaires de Madonna qu’ils ont commencé à habiller dès 1991 et dont ils ont signé les costumes de la tournée de l’album Erotica l’année d’après. Elle avait alors assisté à leur défilé à Milan, arborant un look très Marlene Dietrich, costume d’homme, lunettes rondes et béret. Domenico Dolce et Stefano Gabbana ont-ils considéré qu’avant d’être une création d’un confrère, la gaine aux seins pointus était un objet de pop culture ? Il est vrai par ailleurs qu’eux-mêmes ont toujours fait dans leurs collections, et des corsets, et de très beaux costumes rayés… Passé l’étonnement, on profite du spectacle de ce show qui « rend hommage à une figure féminine ironique et puissante, immortalisée par le cinéma au fil des décennies, capable d’affirmer sa personnalité tout en restant fidèle à elle-même. Une femme qui joue avec son identité, transformant le blond en signature », comme le dit le communiqué. Pour le finale, les designers viennent embrasser leur amie de longue date, Domenico est ému aux larmes.

Défilé printemps-été 2025 Diesel.
Filippo Fior / Gorunway.com

Autre salle, autre ambiance chez Diesel qui a installé son set géant dans un hangar en dehors de Milan. Sur le sol, des tonnes de chutes de jean effilochées et en bande-son, une voix monocorde qui explique le process de teinture écoresponsable du denim (au bout de quarante-cinq minutes, on n’en peut plus !). Glenn Martens, le directeur artistique, qui a annoncé récemment quitter l’autre marque où il officiait depuis longtemps, Y/Project, a consacré ce gain de temps à concevoir un défilé fleuve pour ses fans. Beaucoup de pièces en jean, effilochées, tailladées, effrangées, drapées, mais aussi des genres de prince-de-galles enduit devenant des manteaux, des robes conçues en foulards recyclés – dans le même registre que Marine Serre mais avec travail très couture qui lui est propre. Les mannequins ont des lentilles de couleur, la musique de rave résonne à bloc, le hangar est frigorifique. Martens a toujours la main, mais dehors il fait beau et doux à Milan, peut-être faudrait-il ouvrir un peu la fenêtre ?

Défilé printemps-été 2025 Bottega Veneta.
Abaca

Après une semaine italienne franchement maussade, beaucoup attendaient le dernier show du calendrier, Bottega Veneta. Depuis quatre saisons, Matthieu Blazy propose chaque samedi soir des moments forts, créatifs, sophistiqués. Mais il nous est arrivé de craindre qu’il ne s’enferme dans une posture très, trop, design. C’était le sous-estimer. Évidemment, son premier show restera toujours cher à nos cœurs, mais celui-ci était vraiment son meilleur avec cet élan d’audace et de vitalité qui ont fait défaut à tant d’autres maisons ces derniers jours. Dès l’arrivée dans l’espace du show, toujours à la même adresse non loin du siège de la marque, les invités sont en joie devant les centaines de poufs Sacco en cuir (objet culte édité depuis 1968 par Zanotta) en forme d’animaux : un éléphant, une loutre, une poule, un poney, un ours, un chien, etc. « Une arche de Noé inspirée par une scène d’E. T., le film de Spielberg (1981) » commissionnée par Matthieu Blazy qui est d’ailleurs en précommande sur le site de Bottega (8 000 € pièce tout de même). Le casting des invités est tout aussi impressionnant : Jacob Elordi (égérie de la campagne actuelle), Julianne Moore, Michelle Yeoh qui devise avec Francois-Henri Pinault (PDG de Kering, propriétaire de la maison), ASAP Rocky, Jools Lebron (l’influenceuse portoricaine devenue virale cet été avec sa formule « Very demure, very mindful »), et bien d’autres.

Défilé printemps-été 2025 Bottega Veneta.
SDP

Le show commence, une fille s’avance en tailleur jupe à… une jambe de pantalon. On reste quelques microsecondes sceptique devant ce geste de créateur presque cliché. Mais lorsqu’elle poursuit son chemin, un tournesol dans un papier en cuir à la main, le mouvement est si fluide et ravissant qu’on est convaincu dans l’instant. Qui est cette fille ? Matthieu Blazy dira plus tard qu’il imaginait une secrétaire dans une clinique dentaire à New York jouant avec son look. La suite est d’une telle richesse dans les propositions qu’il est impossible de les énumérer. Un homme en costume so chic porte un cartable rose géant, il y a des vestes-chemises cintrés, du jean large, des manteaux en coton froissé, des complets tout chiffonnés, une petite robe noire parfaite (depuis combien de temps n’avions-nous pas vu ce monument de la mode dans une version aussi contemporaine et désirable ?), des ensembles en tricot blanc et bleu tie & dye, une veste de travail oversize portée avec une jupe droite en faux python mandarine, un trench en cuir, une slip-dress hérissée d’allumettes, un caftan moiré à patchs folks… Et des sacs (y compris en plastique de supermarché, des trompe-l’œil en nylon et cuir), petits ou grands, souples ou structurés, en cuir ou tricotés de bandelettes, portés avec naturel quand on a trouvé si forcé l’excès d’accessoires sur les podiums des concurrents toute la semaine. Pour le finale, ces gens qui ont presque l’air normal font le dernier tour de piste. Avachie sur notre pouf en cuir, on s’imagine à une terrasse de café à regarder les passants, munie de lunettes magiques – pas celles qui montrent les gens tous nus, mais des lunettes qui feraient voir la vie plus belle, plus chic, plus libre.
La liberté, c’est justement le mot-clé qu’emploie Matthieu Blazy ensuite, devant une poignée de journalistes tout simplement heureux de l’entendre parler. « Le point de départ c’est l’émerveillement que l’on ressent enfant quand on vit ses premières expériences d’habillement, quand on se déguise avec les vêtements des parents mais aussi quand votre mère vous habille parfaitement le jour de la rentrée et que vous revenez le soir complètement à l’envers… Et en même temps, je voulais tirer cette liberté intrépide propre à l’enfance vers le sartorial italien. J’ai donc imaginé les enfants Agnelli jouant au parc (…). J’étais également intéressé par l’idée d’un simple acte de mode qui se produit tous les jours et que nous ne regardons pas. Une femme qui s’achète une fleur, c’est très sophistiqué. Un homme vêtu d’un costume parfait qui amène sa fille à l’école et porte son cartable moche… Dans le monde actuel, nous avons besoin de ce genre de moment, besoin de beauté, de continuer à jouer. Et la mode peut être aussi un acte de liberté. »



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