Le calme, face au bruit et à la fureur. Marcher dans la garrigue, sur un sentier de crête, et venir se poser dans le magnifique cirque de pierre qu’est la Carrière de Boulbon, à quelques encablures d’Avignon. Le moment était précieux, dimanche 30 juin au soir : aux alentours de 22 heures, alors que les résultats du premier tour des élections législatives étaient désormais connus, ouvrant une séquence inédite, Tiago Rodrigues, le directeur du Festival d’Avignon, présentait sa nouvelle pièce, Hécube, pas Hécube, créée avec une partie de la troupe de la Comédie-Française. Un beau spectacle limpide et sans esbroufe, qui tend, d’un geste sûr, un arc temporel entre les anciens Grecs et aujourd’hui.
Alléger la tragédie, lui rendre une transparence et une contemporanéité qu’elle a souvent perdues : Tiago Rodrigues s’est déjà imposé comme un maître en la matière, avec ses réécritures aériennes d’Antoine et Cléopâtre ou d’Iphigénie, lui qui est un chantre de la « traduction », au sens large où l’entendait le grand intellectuel George Steiner. Avec Hécube, il se penche sur l’une des pièces les moins jouées d’Euripide, qui place en son centre la vieille reine de Troie à l’heure de la défaite, de la perte de ses enfants et de la vengeance.
Il ne s’agit pas ici de jouer la tragédie au sens classique, mais de l’enchâsser dans un dispositif pirandellien qui amène une distance et un humour bienvenus, tout en faisant résonner les échos du drame de la reine de Troie jusqu’à nos rivages actuels. Hécube, pas Hécube est donc l’histoire d’une femme d’aujourd’hui, Nadia. Comédienne, elle répète le rôle d’Hécube alors qu’elle mène dans sa vie personnelle un autre combat pour la justice. Son fils autiste, Otis, prénommé ainsi par amour pour Otis Redding – le chanteur soul est le fil rouge musical du spectacle –, a été, comme d’autres, victime de maltraitances dans l’institution où il avait été placé. Nadia se bat, pied à pied, pour faire reconnaître à l’Etat sa responsabilité dans cette affaire.
Un magnifique hommage au théâtre
L’entremêlement entre la vie, le théâtre et le théâtre dans le théâtre est ici d’une fluidité impalpable, à l’image des costumes, longs, noirs et sobres, que portent les comédiens. L’histoire de Nadia est trempée dans la vie, puisque Tiago Rodrigues s’inspire de faits réels, qui ont fait scandale en Suisse il y a quelques années.
Comment Nadia s’approprie-t-elle d’autant mieux le rôle d’Hécube qu’elle vit, de l’intérieur, une tragédie ? Comment Hécube, qui ne lâche rien face aux meurtriers de ses enfants, lui donne-t-elle la force de mener son combat ? Le spectacle de Tiago Rodrigues est en soi un magnifique hommage au théâtre, à sa longue histoire, à ses mythes fondateurs, toujours structurants et libérateurs pour qui veut s’y intéresser.
Il vous reste 46.72% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.
#Avignon #avec #Hécube #pas #Hécube #Tiago #Rodrigues #dune #tragédie #lautre