A Aix-en-Provence, Barrie Kosky convoque la folie de George III d’Angleterre et les angoisses de Franz Kafka

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Un bref paraphe griffé de cuivres et de percussions, une note obsédante peu à peu distordue, le long sanglot tremblant d’un violon dépressif : les Eight Songs for a Mad King, de Peter Maxwell Davies (1934-2016), évoquent la démence du roi George III d’Angleterre (1738-1820), qui termina sa vie dans la solitude, aveugle et sourd. C’est en écoutant les mélodies produites par un petit orgue mécanique, avec lequel le souverain souhaitait apprendre à chanter à ses oiseaux (des bouvreuils), que l’idée de l’œuvre s’est insinuée dans l’esprit du librettiste Randolph Stow et du compositeur.

Sur le plateau, un homme seul, en slip blanc. Longs ongles jaunes à la main droite, soupçon de maquillage à l’œil gauche, il se tient debout dans une camisole de lumière. Ce qui attend le baryton allemand Johannes Martin Kränzle est un terrible et éprouvant combat contre la déraison – sur un ambitus de cinq octaves. Du murmure au hurlement, cris, gémissements, rires et grognements, l’époustouflant catalogue sonore du corps humain emprunte aux chant, phonèmes, texte, onomatopées, développe le foisonnant lexique d’une âme blessée.

Composée pour une dizaine d’instruments (auxquels s’ajoute l’usage d’appeaux), la partition radicale du compositeur britannique créée en 1969 – en fait, une suite de danses – parcourt les registres de l’extrême, épousant et accompagnant les festoyantes douleurs de la folie de sons saturés, à la limite du bruit.

Des moments d’accalmie laissent filtrer références et souvenirs. Ainsi, ces citations de danses élisabéthaines, de parodie d’Haendel ou de musique du folklore, rythmes de fox-trot. Sous couvert d’un répit à la folie, ils la soulignent en fait davantage. A la tête de l’Ensemble intercontemporain, Pierre Bleuse dirige avec passion et empathie. Sur scène, Johannes Martin Kränzle vient de piétiner le violon qu’il tentait de faire sonner : c’est après avoir retrouvé sa voix d’homme normal qu’il se fracassera lui-même.

Le violon sert en effet de lien aux deux parties du spectacle. Coup de poing et coup de génie : Barrie Kosky a complètement pris son monde à rebours. Loin du travail foisonnant, frôlant parfois la surenchère, auquel il s’est si souvent adonné, le voilà qui dessine un espace pur, mental, d’un noir ardent, magistralement structuré par le projecteur de l’éclairagiste Urs Schönebaum, tandis que lui-même déploie sur le plateau une direction d’acteur serrée, qui n’ignore rien des troubles d’un monarque dont les goûts sexuels flirtent avec le travesti. En exergue, ce que souligne aussi la musique : le plus grand malheur du fou est la solitude.

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