« “Vous êtes l’amour malheureux du Führer” », de Jean-Noël Orengo : démonter les mensonges du nazi Albert Speer

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« “Vous êtes l’amour malheureux du Führer” », de Jean-Noël Orengo, Grasset, 264 p., 20 €, numérique 15 €.

Sélectionné pour le Prix littéraire « Le Monde » 2024

Longtemps, Jean-Noël Orengo n’a « pas su » ce qu’il écrivait avec « Vous êtes l’amour malheureux du Führer ». Aujourd’hui, il parle au « Monde des livres » de ce « roman » (c’est ainsi que le présente, génériquement, la couverture), son cinquième, comme d’une « contre-fiction », ou d’un exemple de « non-fiction narrative et hybride » sur Albert Speer (1905-1981). Ce dernier fut l’architecte favori d’Hitler et, à partir de février 1942, son ministre de l’armement ; ­condamné à vingt ans de prison au procès de Nuremberg, en 1946, l’ancien dignitaire nazi a fini par devenir « une star de la culpabilité allemande », explique Jean-Noël Orengo, notamment grâce à son livre de Mémoires, Au cœur du IIIe Reich (Fayard, 1971).

L’écrivain né en 1975 l’a lu à 25 ans et en est sorti happé par cette « figure romanesque » et par « l’incarnation du couple artiste-homme de pouvoir » que Speer forma avec Hitler, « comme une terrible caricature du tandem de Jules II et Michel-Ange [au XVIe siècle] ». Cette lecture l’a laissé « troublé », aussi, « sans comprendre pourquoi ». Au fil des années, alors que son esprit revient régulièrement à l’idée d’un roman sur Speer, des historiens éclairent son malaise : en prétendant se confesser, l’architecte n’a cessé de mentir. Dès le procès de Nuremberg, il a assuré n’avoir pas eu connaissance de la politique d’extermination des juifs, avec une force de conviction suffisante pour éviter la peine de mort. En 1971, deux ans après la parution originale d’Au cœur du IIIe Reich, l’Américain Erich Goldhagen démontre l’impossibilité de cette ignorance. D’autres suivront, mais la « séduction » de la version Speer des faits demeure.

Et puis, « il y a sept ou huit ans », Jean-Noël Orengo découvre Albert Speer. Son combat avec la vérité, de Gitta Sereny (Seuil, 1997). La journaliste et historienne britannique (1921-2012), née en Autriche, a assisté au procès de Nuremberg ; en 1978, elle a longuement interrogé Speer, avec ­lequel elle s’est ensuite liée d’amitié ; elle a attendu près de quinze ans après sa mort avant d’écrire son livre. Ce dernier est pour Orengo « un geste génial » en ce qu’il donne à voir « l’histoire d’une relation entre une historienne et son objet d’étude vivant, la simultanéité prodigieuse de deux temps généralement disjoints : le temps vécu des passions historiques et le temps ultérieur des historiens et de leur narration ». Quand il s’attelle, plus tard, « pendant le confinement », à son projet sur Speer, « le personnage extraordinaire qu’est Sereny, cette femme juive qui était décidée à se confronter au mal et qui est devenue amie avec son ­sujet » lui « donne le fil ». Elle lui permet de mettre le doigt sur l’emboîtement de fictions qu’est Albert Speer, et sur l’idée qu’Au cœur du IIIe Reich est une « autofiction radicale avant l’heure : son but n’est pas de révéler la vérité, mais de la cacher ».

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