«Aujourd’hui, enfin, notre père boit nos vins» : Julie et Mathieu Marfisi, symboles d’une fracture générationnelle encore vive en Corse

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LA NOUVELLE GARDE DE PATRIMONIO (5/5) – Entre les générations, la passation est parfois difficile. Chez les Marfisi, elle s’est faite au prix de quelques accrocs, pour que finalement, ces vins incontournables de Patrimonio fassent enfin l’unanimité.

Toute la semaine, nous partons en Corse à la découverte de celles et ceux qui font le présent et le futur de Patrimonio. Aujourd’hui, dernier épisode avec la rencontre avec Julie et Mathieu Marfisi.

À quelques pas du domaine de la sage Muriel Giudicelli, papesse des vins nature de Patrimonio, également formée par le clan Arena, on tombe sur celui de Julie et de Mathieu Marfisi, cinquième génération du domaine du même nom, aux cuvées démultipliées sur un nombre infini d’assemblages et d’expérimentations. Au total, 12 hectares de vignes plantés des traditionnels niellucciu et vermentino, mais aussi de muscats anciens cultivés depuis les années 1960, lorsque les vins doux naturels et mutés trouvaient encore preneur. «Nous avons eu à cœur de replanter de vieux cépages corses», raconte le duo, en énonçant comme une formule magique des noms à rendre fou tout joueur de Scrabble : «Caraciulune, rimenese… Même des grenaches . La diversification de l’encépagement permet de ne pas mettre tous nos œufs dans le même panier.» Partageant les rôles à la vigne comme au chai, le frère et la sœur auront dû faire front face à un père né en 1936, «qui considérait que replanter d’anciens cépages était une hérésie, et que l’herbe était l’ennemie de la vigne», se souvient Mathieu en riant. Une fracture générationnelle qui semble profondément ancrée dans l’histoire du vignoble corse, où les anciens, encore en activité, tentent parfois de «contrarier» gentiment le travail des jeunes. «Notre père vient toujours dans les vignes, il laboure dès que nous avons le dos tourné, poursuit-il avec tendresse. Lorsque nous avons arrêté les traitements, l’ajout de soufre et le collage, il lui arrivait de nous lancer : “Mais vous ne faites plus rien !”»

Patrimonio mon Amour.
Laura Steven

Patrimonio mon Amour

Pourtant, le résultat est sans appel. Aux vins très extraits, rustiques et râpeux d’autrefois, se sont substitués des rouges croquants, tendres et soyeux – à l’image de la cuvée Uva –, de subtils rosés aux ascendances rougeoyantes, et de surprenants blancs aux notes végétales et iodées. «Aujourd’hui, les 1985 sont sublimes, il leur aura cependant fallu du temps, constate Julie. Les vins d’autrefois en avaient besoin, mais depuis la reprise, nous essayons d’avoir à la fois des cuvées de grande garde et des jus plus immédiats, plus infusés, avec un rapport solide-liquide plus équilibré.» Une philosophie qu’ils partagent avec les jeunes vignerons des alentours, dans un authentique esprit de solidarité. «Il y a quelques années, raconte Mathieu, je me suis blessé au moment des vendanges. Ils ont tous pris de leur temps pour venir effectuer ce que j’aurais dû faire, et cela a donné une cuvée de rouge que nous avons nommée Patrimonio mon Amour

En faisant le choix de la dentelle au détriment d’une production de masse, Julie et Mathieu ont mis fin à une tradition, héritée d’une histoire encore largement taboue, celle de l’arrivée des pieds-noirs en Corse au lendemain de la décolonisation, résolus à reproduire ici «ce qui se pratiquait là-bas, en Algérie». On s’est souvenu alors des confidences concédées par un ancien notable lors de notre précédent passage sur l’île, revenant sur un passé douloureux, durant lequel le vignoble corse s’était vu dangereusement déstabilisé par l’avènement d’une production viticole exclusivement destinée au rendement. Étaient alors nés sur le territoire des «vignobles fantômes», phénomène qui encouragea une poignée de vignerons à arracher de haute lutte la création d’une AOC en 1968. Une victoire respectée par les plus jeunes, qui souhaitent désormais écrire leur propre histoire, sans rompre avec ceux qui leur en ont donné les moyens. Mais si les cuvées du clos Marfisi sont aujourd’hui reconnues parmi les plus prometteuses de l’appellation, incarnant la noblesse retrouvée d’un vignoble en pleine ascension, la véritable consécration se révèle plus intime : «Aujourd’hui, enfin, notre père boit nos vins.»

Cet article est issu du F, l’art de vivre du Figaro.

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