En Turquie, le rire comme alternative aux tensions sociales et politiques

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L’heure de la représentation approche. La file d’attente s’allonge devant le Ses Tiyatrosu (littéralement, « théâtre de la voix »), haut lieu de la comédie, situé sur la grande avenue Istiklal, au cœur d’Istanbul. En coulisses, Deniz Göktaş, 30 ans, fait les cent pas dans sa loge. Une épaisse moustache noire donne une fausse sévérité à son visage. Il répète, à voix basse, son texte. « C’est ma quatrième représentation ici, mais cela m’impressionne toujours de venir jouer sur cette scène », reconnaît-il, nerveux.

Le jeune humoriste vit du stand-up depuis trois ans désormais, mais il ne s’est toujours pas débarrassé de sa timidité. Et jouer au Ses Tiyatrosu, d’une capacité d’environ cinq cents places, restauré en 1989 par le célèbre humoriste Ferhan Şensoy (1951-2021), reste un privilège. A peine devant le public, sa fébrilité semble s’évanouir et le voilà parti pour une heure et demie de show devant une salle comble.

« Tout le monde s’affole parce que Hüda Par [parti islamiste radical du Sud-Est kurde régulièrement accusé d’actes de violence] est au Parlement… mais, au moins, il y a des vigiles à l’entrée et des caméras de surveillance dans le Parlement ! C’est à l’extérieur qu’ils font flipper. Imaginez qu’ils soient parmi nous ! », lance-t-il, déclenchant de grands rires.

Des spectateurs assistent au nouveau spectacle de l’humoriste Deniz Göktaş, au Ses Tiyatrosu, à Istanbul, le 24 avril 2024.

Au fond de la salle, Enes Uysal, 35 ans, se tient debout, les bras croisés, et ne quitte pas son poulain des yeux. D’origine turque, ayant grandi en Australie, ce grand amateur de stand-up a ­sillonné la ville au début des années 2010 pour dénicher des scènes qui puissent étancher sa soif d’histoires et de bons mots. Sans succès. Alors il s’est remonté les manches et a fondé, il y a cinq ans, le TuzBiber comedy club avec son complice, Aksel Gürel.

L’équipe compte désormais une vingtaine d’employés qui gèrent près de soixante-dix comédiens et ­organisent jusqu’à cent soixante-dix représentations par mois, en Turquie et de plus en plus à l’étranger. « Historiquement, le ­succès de la comédie est lié aux grandes crises économiques », observe-t-il. La Turquie ne fait pas exception avec une inflation vertigineuse qui mine le pouvoir d’achat des franges les plus défavorisées et des classes moyennes. Disponible sur YouTube ou sur les plates-formes audio, le stand-up s’impose comme un divertissement accessible. « Le deuxième facteur déterminant, c’est le rôle de Netflix, qui a beaucoup diffusé de stand-up ces dix dernières années », complète-t-il.

Textes relus par des avocats

Les formats vidéo et les podcasts ont ouvert une brèche dans laquelle le milieu de l’humour et du stand-up s’est engouffré. Mais, dans une société très polarisée, l’humour aussi a ses lignes rouges. La relecture des textes par des avocats s’est imposée comme incontournable pour éviter des procès. La comédienne Pinar Fidan, de confession alévie, un courant de l’islam marginalisé par les cercles sunnites, avait été poursuivie par la justice à la suite de plaintes d’associations alévies pour une plaisanterie acide sur les persécutions subies par cette communauté religieuse minoritaire.

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