25 février 2022, la guerre en Ukraine va changer le monde

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Notre rendez-vous anniversaire « 80 ans du Parisien, 80 unes »

Le tout premier numéro du Parisien paraît le 22 août 1944, en pleine libération de Paris. Pour célébrer cet anniversaire, nous vous avons sélectionné 80 « unes » historiques ou emblématiques de leur époque. Sport, faits divers, conquête spatiale, élections présidentielles, disparitions de stars… Elles racontent huit décennies d’actualité. Nous avons choisi de vous en raconter les coulisses. Une série à découvrir jusqu’à la fin de l’année.

La veille à 5h30, heure de Moscou (4h30 en France), le président de la fédération de Russie, Vladimir Poutine, a annoncé à la télévision le début d’une « opération militaire spéciale ». Ce rond de jambe sémantique signifie l’invasion, dans le sang, du voisin ukrainien puni pour s’être détaché depuis dix ans de la tutelle russe, au profit de l’Europe et des États-Unis.

Au milieu d’un océan d’indignation internationale, le président français s’adresse à ses concitoyens à la mi-journée. Emmanuel Macron parle d’« un tournant pour notre pays ». La citation est reprise à la une de notre titre.

 

Juste au-dessous du logo bleu du Parisien, l’œil s’attarde sur le visage concentré d’un soldat de Moscou, seul élément humain sur le monstre de métal couleur kaki. Juché sur la tourelle du char, il écoute des ordres dans la radio intégrée à son casque. Derrière lui, le paysage s’efface dans la fumée blanche des engins blindés. L’image a été prise par un photoreporter russe, le matin du 24 février à Armiansk, dans le nord de la Crimée occupée, à 10 km de la frontière.

Avant la guerre, les journalistes déjà sur le pont

Depuis novembre, des troupes ont commencé à se masser aux portes de l’Ukraine. La pression est montée doucement et, avec elle, les conjectures autour d’une agression que beaucoup espéraient impossible. Au Parisien, nous partons rencontrer les habitants de cette Ukraine méconnue, qu’on dit déchirée entre Est et Ouest, et que l’on découvre, sur place, fermement décidée à lutter pour la liberté.

« Peut-on sauver la paix ? » s’interrogeait notre journal le 7 février. « Comment la résistance s’organise au cas où… » titre-t-on le 14. Le 19 février, pensant que la guerre imminente commencera dans l’Est, nous prenons la route du Donbass. À l’aéroport de Kiev règne une ambiance lunaire. Des familles ukrainiennes en combinaisons vives, skis sur l’épaule, partent en vacances dans les Carpates au milieu de reporters de guerre qui ramassent sur les tapis roulants leur matériel fermé dans de grandes housses noires. Des skieurs ou des journalistes, qui se trompe ?

Le 23 à minuit, cinq heures avant la déclaration de guerre, Dalia, 20 ans, nous raconte encore ses rêves d’Amérique dans l’arrière-salle d’un bar d’Avdiïvka, enfumée par la chicha. Son sourire achève notre reportage sur les jeunes du Donbass, qui ont grandi, depuis 2014, avec des tranchées au fond de leur jardin. Ici, le conflit avec les indépendantistes prorusses a déjà huit ans.

« Ça a commencé »

À 6 heures, le réveil sonne. On ouvre les yeux sur le papier peint défraîchi de l’appartement loué pour la nuit – il n’y a pas d’hôtel à Avdiïvka. Philippe de Poulpiquet, photographe, attrape son téléphone et bondit : « Ça a commencé. »

 

En moins de 15 minutes, nous sommes dehors, nos lourds gilets pare-balles sur le dos. Il faut raconter ce début de guerre et rallier Kiev au plus vite, puisque le Kremlin semble vouloir marcher non pas sur le seul Donbass, mais sur l’Ukraine tout entière. Les bombes pleuvent dans le pays, l’aéroport de Hostomel, à 30 km de la capitale, est à feu et à sang. Des colonnes de chars sont signalées au nord et au sud.

Dans les rues d’Avdiïvka, on entend les claquements métalliques des armes automatiques dans les tranchées toutes proches. Une longue file d’attente de voitures s’est formée à la station-service, point de départ d’un exode des civiles qui va durer des semaines. Nous partons les interviewer. Au même moment, à Paris, une petite équipe de journalistes anime depuis déjà deux heures un live sur cette « opération spéciale » qui sidère le monde.

Ils ont été tirés du lit à 5 heures par leur chef ce jour-là, Tanguy de l’Espinay, lui-même réveillé par son épouse agacée de voir son téléphone portable clignoter sur la table de chevet, comme un stroboscope en boîte de nuit. C’est une avalanche d’alertes et de dépêches, ces « urgents » de l’Agence France Presse (AFP) qui annoncent un conflit de grande ampleur. Claire Hache, l’une des encadrantes de l’équipe, a sauté dans un Uber, son ordinateur sur les genoux, pour rendre compte minute par minute des événements.

Toute la rédaction, dans toutes les rubriques, entre en action pour proposer sur le site, en vidéo, puis sur seize pages dans l’édition papier du lendemain, un récit de l’histoire en marche embrassant tous les points de vue. Le journal du jour, qui mettait à l’honneur en gros plan le blond museau d’une vache Limousine, pour l’ouverture du Salon de l’agriculture a pris mille ans en une matinée.

Décrypter, cartographier, chiffrer et vérifier l’information

Il faut décrypter la fébrilité sur la scène politique internationale et intérieure. Des camps se dessinent. On dresse le portrait de ce chef de guerre en tee-shirt kaki nommé Volodymyr Zelensky.

On publie la carte et les chiffres des forces en présence, comme une réponse venue du futur à la question de Staline restée célèbre : « Combien de divisions ? » On court voir la (petite) communauté ukrainienne de Paris, et aussi la comédienne Macha Méril, parce qu’elle est russe d’origine et connue du grand public. Et on s’interroge sur la flambée à venir des prix de l’énergie – le journal y consacrera sa manchette sur fond couleur de flammes, le 12 mars : « Le fioul a déjà doublé. »

 

En Ukraine, on se démène pour trouver une voiture, et filer dans la capitale à contre-courant d’un exode des civils. On arrache cette photo de nuit de la place Maïdan sous couvre-feu, prise depuis les fenêtres de l’hôtel Ukraïna, ce palace abandonné que les snipers de l’armée ukrainienne vont investir le lendemain matin. Elle fera la une du 26 février, sous le titre « La bataille de Kiev ».

La course de fond imposée par l’actualité commence à peine. Dans les rédactions, il faut vérifier et mettre en perspectives les infos et les images de ce conflit, qu’on baptise rapidement « la première guerre TikTok ». Plus que jamais, la désinformation est une arme de guerre.

21 unes sur l’Ukraine en deux mois

En Pologne, sur la route vers Kiev, notre grand reporter Timothée Boutry et le photographe Frédéric Dugit racontent l’épuisement des femmes, enfants, vieillards qui ont quitté leur vie avec valises et animaux de compagnie, chassés par les bombardements. Aux portes de l’Ukraine commence le ballet des « relèves », ces journalistes qui se relaient sur le terrain, mission après mission, par le rail ou la route. L’aéroport ne fonctionne plus. Timothée franchit la frontière en stop.

Le 7 mars, la « ville martyre » de Marioupol, crucifiée par un siège effroyable, barre la une du Parisien. Un mois plus tard, la vague de retrait des troupes russes dans la banlieue de Kiev laisse dans des fosses communes et dans les rues des cadavres par centaines. « Le massacre des civils », titre le journal. Le nom de Boutcha fait le tour du monde.

En deux mois, Le Parisien consacre 21 fois sa une aux souffrances et à la résistance de l’Ukraine. S’y ajoutent les dossiers consacrés à la Russie, et les conséquences en France et en Europe de ce conflit hors normes. Le live ouvert par le journal le 24 février à 5 heures se poursuivra sans interruption pendant 596 jours.

 

Le 10 juin 2022, un pioupiou ukrainien de 19 ans, Danyl, rencontré par le grand reporter Vincent Mongaillard fait la une du Parisien. Il est assis sur une table médicale. Ses deux jambes amputées pendent dans le vide. Et le regard sans lumière qu’il plante au cœur du lecteur saisit autant que le canon du char, qui nous visait, sur papier interposé, au matin du 25 février.

Le triste et sanglant premier anniversaire de l’invasion approche. Le 24 février 2023, le Salon de l’agriculture qui va s’ouvrir porte de Versailles ne remporte pas la une. On y verra plutôt le président Biden, en Ray-Ban aviateur, et le chef de guerre Zelensky, devant la façade bleu myosotis du monastère Saint-Michel de Kiev. Et ce titre : « Une année de guerre qui a changé le monde. »

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