Cannes 2024 – « La Jeune femme à l’aiguille » de Magnus Von Horn : Un plaidoyer sombre et perturbant pour les droits des femmes

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Cannes 2024 – « La Jeune femme à l’aiguille » de Magnus Von Horn : Un plaidoyer sombre et perturbant pour les droits des femmes

Après Le Lendemain (The Here After), présenté en avant-première à la Quinzaine des Cinéastes en 2015, puis Sweat, en Sélection officielle au Festival de Cannes en 2020, le réalisateur suédois Magnus Von Horn revient à Cannes avec Pigen Med Nålen (La Jeune femme à l’aiguille), un nouveau long métrage, cette fois en langue danoise.

En lice pour la Palme d’or, le Suédois expérimente une nouvelle approche artistique avec un film d’époque. Inspiré d’une histoire vraie, celle du meurtre le plus controversé de l’histoire du Danemark et véritable traumatisme national, le film raconte l’histoire de Karoline, une jeune ouvrière luttant pour survivre dans le Copenhague de 1918. Lorsque cette dernière tombe enceinte, elle fait la rencontre de Dagmar, une femme qui dirige une agence d’adoption clandestine. Karoline accepte tout d’abord de lui donner son bébé pour le faire adopter et ensuite un rôle de nourrice à ses côtés.

La vie de Karoline est marquée par la misère et la détresse. Couturière dans une usine de textile reconvertie dans la fabrication d’uniformes, elle se bat quotidiennement pour joindre les deux bouts. La guerre sévit en Europe et Karoline, sans nouvelles de son mari présumé mort au combat, se retrouve dans une situation désespérée. Expulsée par son propriétaire, elle est obligée d’habiter dans un taudis sordide, sale et sans eau courante. Et en plus, pour ajouter à ses malheurs, elle tombe enceinte après avoir été abusée par son patron, qui lui avait promis le mariage mais qui l’avait abandonnée par la suite. Le film plonge le spectateur dans un Copenhague de 1918 sombre et dénué d’espoir, où la misère est omniprésente.

Le film est tourné en noir et blanc, accentuant la noirceur de la crasse, des événements morbides et de la détresse humaine. Von Horn pousse les spectateurs à faire face à cette réalité sombre, certains pourraient y voir du voyeurisme, mais la démarche semble être une volonté de confronter l’audience à une époque brutalement réaliste.

Un aspect du film m’a personnellement particulièrement interpellée. Le film se déroule dans un pays nordique, à la fin de la Première Guerre mondiale, une période marquée par des conditions de vie extrêmement difficiles pour les classes ouvrières. Ces gens travaillent sans aucun avantage social, dans la précarité la plus totale, exécutant des travaux durs et vivant dans la misère et la crasse. Les rues sont boueuses, l’eau courante n’existe pas encore et l’hygiène est quasi inexistante. Aujourd’hui, ces pays nordiques sont des exemples de développement, mais le film nous montre une réalité très différente au début du XXe siècle.

Pour moi, la question qui se pose est : comment ces pays nordiques ont-ils pu se développer à ce point en à peine un siècle ? À quel moment exact a eu lieu ce basculement vers le progrès ? Et pourquoi dans une grande partie des pays arabes, ce basculement n’a pas eu lieu ? Il me semble que la création d’institutions d’aide sociale, le vote de lois progressistes, comme les lois sur la contraception et l’avortement, en se débarrassant des préjugés et idées conservatrices ou religieuses, ont certainement joué un rôle crucial dans ce développement rapide.

Inspiré d’une histoire vraie, le film traite d’une femme qui a tué plusieurs dizaines de nourrissons. C’est également une plaidoirie pour la contraception et l’avortement. Il y a un siècle, les femmes n’avaient aucun droit, se faisant « engrosser » à tout moment et devant se débrouiller seules pour avorter ou élever leurs enfants non désirés. Le discours de la meurtrière au tribunal est choquant mais réaliste pour son époque. Que faire de tous ces bébés qui naissaient malgré la volonté de leurs mères ? Qui pour s’en occuper ? Comment les élever ? Comment les nourrir ?

Personnellement, le film m’a perturbée. En lisant le synopsis, j’avais compris qu’il était inspiré d’une histoire vraie d’une femme ayant tué plusieurs nourrissons. Je m’attendais donc à un film retraçant la vie de cette femme, ses crimes, éventuellement son procès, et les raisons de ses actes. Lorsque le film a commencé à raconter l’histoire de Karoline, j’ai cru qu’elle était l’assassin et que le film expliquait son cheminement vers le meurtre. Mais finalement, ce n’était pas elle. Pourquoi donc le réalisateur nous raconte-t-il l’histoire de Karoline alors qu’elle n’est pas la tueuse ? Voulait-il nous expliquer le contexte de l’époque, en 1918, sans contraception, avec l’avortement interdit, et une énorme précarité pour tous, mais surtout pour les femmes ?

C’est en effet ce que je pense. Le réalisateur était bien plus intéressé par toutes ces femmes qui doivent lutter pour vivre, qui doivent travailler durement, et qui parfois ont du mal à s’occuper d’elles-mêmes. Ce qui les pousse parfois à commettre des actes graves lorsqu’elles se retrouvent enceintes contre leur propre volonté. C’est peut-être plus intéressant que le cas particulier de cette femme tueuse, qui n’aurait pas pu commettre tous ces meurtres si les femmes n’étaient pas aussi désespérées et n’avaient pas eu recours à elle.

La Jeune femme à l’aiguille est un plaidoyer puissant pour le droit à l’avortement. Il montre que sans ce droit, des femmes peuvent être poussées à des actes extrêmes, elles peuvent essayer de se faire avorter dans des conditions dangereuses pour elles et pour les bébés (comme a voulu le faire Karoline avec son aiguille à tricoter), elles peuvent avoir des bébés et les abandonner au coin d’une rue, devant une église… ou même dans une poubelle. Ce qui arrive encore souvent dans les pays qui interdisent l’avortement.

Pourquoi aujourd’hui encore certains pays interdisent-ils l’avortement ? Pourquoi la législation dans la plupart des pays arabes reste-t-elle rétrograde à ce sujet ? Pourquoi dans certains pays où l’avortement est légal, certains veulent-ils revenir en arrière ? Pourquoi certains pays qui avaient légalisé le droit à l’avortement, l’ont ensuite interdit? Le film illustre les conséquences dramatiques de l’interdiction de l’avortement, offrant une réflexion profonde sur les droits des femmes et les progrès sociaux nécessaires pour éviter de telles tragédies.

La Jeune femme à l’aiguille est un film sombre, perturbant et profondément humain qui interroge notre histoire et nos progrès sociaux. Il mérite une réflexion et un débat sur les droits des femmes et la capacité de nos sociétés à protéger les plus vulnérables. Un grand bravo à l’actrice Vic Carmen Sonne qui a très bien joué son rôle de Karoline.

Neïla Driss

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