El Gouna 2023 – Circulation et mobilisation : que peuvent faire les cinémas indépendants en temps de crise ?

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La 6ème édition du Festival du Film d’El Gouna, qui s’est déroulée du 14 au 21 décembre 2023, a marqué un tournant particulier en consacrant son soutien à la Palestine, plongée dans une guerre dévastatrice avec Israël.

Diverses activités ont été organisées, notamment la projection de films palestiniens dans le cadre du programme « Fenêtre sur la Palestine » et des panels dédiés à ce sujet. Après le panel initial sur « Caméra en crise : un objectif sur la Palestine« , les festivaliers ont eu l’opportunité d’assister à un autre panel intitulé « Circulation et mobilisation : que peuvent faire les cinémas indépendants en temps de crise ? ».

El Gouna 2023

Initialement prévu pour aborder le cinéma indépendant et les salles d’art et d’essai lors de l’édition prévue en octobre dernier, le sujet du panel a été ajusté en raison de la guerre en cours à Gaza, alignant ainsi le thème sur l’édition spéciale consacrée à la Palestine.

Ce panel a été organisé en partenariat avec le Réseau des Ecrans Arabes d’Art et d’Essai (NAAS). Les panelistes incluent la cinéaste palestinienne May Odeh, la productrice égyptienne Fatma Abed, le distributeur et fondateur de Cinémadart tunisien Kais Zaied, ainsi que la directrice de programme à la Soudan Film Factory, Elaf Elkanzy. La modératrice, Nada Bakr, est la directrice du réseau NAAS en Égypte.

May Odeh, coordinatrice du programme « Fenêtre sur la Palestine » entre le Palestine Film Institute et le Festival du Film d’El Gouna, a débuté la séance par une minute de silence en hommage aux victimes palestiniennes de la guerre.

El Gouna 2023

Le Palestine Film Institut, créé en 2017/2018 par un groupe de cinéastes palestiniens, a pour objectif de donner un visage aux Palestiniens, contrecarrant ainsi le narratif négatif qui affirmait que la Palestine n’existait pas et que ce peuple n’avait pas d’identité.

May Odeh explique : « En 2017/2018, nous, un groupe de cinéastes palestiniens, avons constaté l’absence d’une institution cinématographique nous regroupant, surtout en raison de la dispersion des Palestiniens dans le monde. Nos archives ont été détruites, de nombreux anciens films ont été perdus. Nous avons donc constitué cet institut dont le siège est en ligne. Cela nous permet de diffuser nos films, aussi bien dans des salles, où même en ligne. Par exemple chaque mercredi, et pendant une semaine, nous mettons gratuitement à la disposition du public, un film palestinien. Par ailleurs, nous essayons de faire participer nos films dans les festivals et de les faire connaître dans le monde ».

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Ilaf Elkanzy, Conseillère et directrice culturelle à la Soudan Film Factory, a partagé l’impact de la guerre sur leur travail et a souligné l’importance du cinéma indépendant. Elle explique : « À cause de la guerre, nous avons perdu le siège de la Sudan Factory, qui se trouvait à Khartoum. Nous travaillons sur plusieurs axes, distribution, aide à la production, organisation du festival du Soudan… Un film indépendant est celui où le cinéaste crée avec une intention artistique plutôt qu’à des fins commerciales. Nous avons beaucoup travaillé sur le film indépendant depuis 2010, à l’échelle locale et internationale, en abordant également les financements grâce aux réseaux ».

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Kais Zaied, gestionnaire de Cinemadart, Hakka Distribution et Ecco, membre de NAAS, partage son expérience : « Cinemadart est un projet datant de 2012. À l’époque, les salles fermaient à Tunis, et il n’existait pas de salles d’art house pour le cinéma indépendant. Nous avons rapidement rencontré un problème : très peu de films indépendants disponibles. Nous avons donc créé Hakka Distribution pour distribuer des films indépendants tunisiens et étrangers. Notre objectif était lucratif, mais nous aspirions à ramener le public au cinéma. À l’époque, il y avait environ 9 salles de cinéma en Tunisie. Aujourd’hui, la situation s’est améliorée. Nous avons développé un réseau local collaboratif, travaillant avec les écoles, les associations culturelles, puis nous avons étendu notre collaboration à d’autres salles à travers le pays. Naturellement, nous avons rejoint NAAS pour élargir notre impact au niveau national et international ».

Kais Zaied a souligné la particularité des films tunisiens, à la fois indépendants et rentables, en comparaison avec l’Égypte où les films indépendants ne sont pas aussi prospères. Il explique : « En Tunisie, nos films sont indépendants car nous n’avons pas vraiment d’industrie cinématographique, tant au niveau des sujets que de la fabrication. Cependant, nos films tunisiens attirent un large public. Contrairement à l’Égypte, nos films tunisiens sont à la fois indépendants et rentables. Les autres films commerciaux étrangers en Tunisie sont distribués par un autre réseau, et nous avons donc délibérément choisi de nous consacrer exclusivement aux films indépendants étrangers ».

El Gouna 2023

Fatma Abed, productrice et distributrice, a présenté le projet Palestine Cinema Days et partagé sa vision du cinéaste indépendant : « Pour moi, un cinéaste indépendant est une personne qui vit dans une société, a des idéaux, des causes, et souhaite les partager. Le Palestine Cinema Days, organisé par le Palestine Film Lab, devait avoir lieu à Ramallah en octobre dernier pendant 10 jours. En raison de la guerre, l’édition a été reportée, mais le festival a été transformé en un événement mondial. Les 8 films sélectionnés ont été projetés dans 86 villes de 41 pays, totalisant 141 projections au 2 novembre dernier. Des débats ont eu lieu dans plusieurs villes, dont Berlin et Paris ».

May Odey a présenté la Palestine Film Plateform, initiée pendant le confinement dû au Covid. Cette plateforme a débuté en diffusant en ligne gratuitement des films palestiniens chaque mercredi. Après le 7 octobre, confrontés au narratif israélien envahissant, les responsables ont réagi rapidement en contactant les cinéastes palestiniens et en élargissant la diffusion de leurs films. Le succès a été fulgurant, avec des demandes de projections dans le monde entier, y compris de pays très lointain comme l’Indonésie, des pays d’Amérique du Sud, tant par des distributeurs que par des particuliers cherchant à sensibiliser et récolter des dons humanitaires pour les Palestiniens.

May Odey souligne l’importance de repenser la distribution commerciale des films palestiniens.

Le réseau NAAS permet également aux gens de différents pays de découvrir des films qui reflètent des défis et des vécus communs. Par exemple, la Sudan Film Factory a projeté de nombreux films syriens pendant la guerre en Syrie et malheureusement ensuite ce sont les soudanais qui ont vécu les mêmes circonstances.

NAAS a également joué un rôle essentiel dans la solidarité, Ilaf Elkanzy souligne que malgré les différences, la solidarité à travers les années a permis la diffusion de films et l’organisation d’événements culturels. Ce qui a été confirmé par Kais Zaied, en effet, par exemple, Cinemadart en Tunisie a programmé, dès le 20 octobre, le film palestinien Alam (2022) réalisé par Firas Khoury, pendant plusieurs jours, et depuis le 28 octobre a organisé « Regards de Palestine », un cycle de films autour de la Palestine, reversant l’ensemble des recettes au Croissant Rouge tunisien pour soutenir les Palestiniens de Gaza. En plus des projections de films, diverses activités de solidarité avec la Palestine ont été organisées, notamment une exposition et la lecture de textes palestiniens.

El Gouna 2023

« Je suis fière », a affirmé May Odey, « parce que malgré nos différents, il y a des gens qui à travers les années sont arrivées à diffuser des films et à s’organiser par solidarité. Il est évident qu’il va être de plus en plus difficile pour nous de faire des films, parce que nous n’en avons pas les moyens financiers et parce qu’il faut lutter contre l’adversaire qui veut imposer son propre narratif et qui lui a des moyens énormes. Je prends comme simple exemple le projet de Steven Spielberg à propos du 7 octobre. Il est évident que seul le point de vue des israéliens y sera consacré. Nous, palestiniens, avons besoin de propager nos propres images, diffuser notre propre version. Le public existe. Nous sommes en train de réfléchir à une initiative pour récolter de l’argent. Nous sommes en train de penser à trouver un moyen pour demander la contribution financière du public. Si le public veut voir ce genre de films, il pourrait participer à aider à leur fabrication ».

May Odey a conclu ce panel en rendant hommage au poète Refaat Alareer de Gaza, assassiné depuis quelques jours et qui a laissé un poème testament poignant : « Si je dois mourir, tu dois vivre, pour raconter mon histoire ».

« Il a raison, il faut raconter l’histoire des palestiniens, c’est la responsabilité de ceux qui survivent. C’est pour cette raison que l’initiative du Festival d’El Gouna a revêtu une importance capitale pour nous, en ouvrant une porte significative pour la Palestine et en jouant un rôle majeur dans la diffusion de nos images et de notre récit. La nécessité que la voix palestinienne atteigne le monde entier à travers de tels festivals est cruciale ».

Neïla Driss

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