El Gouna 2023 – Cinéma à impact : mettre les paroles en action

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La 6ème édition du Festival du Film d’El Gouna (GFF), qui s’est déroulée exceptionnellement du 14 au 21 décembre 2023, a été marquée par un panel très intéressant intitulé « Cinéma à impact : mettre les paroles en action ».

Les intervenants étaient : l’acteur égyptien Ahmed Malek, le réalisateur français Sylvain Georges, le spécialiste en communication tunisien Habib Trabelsi, la réalisatrice productrice anglaise Mabel Evans et la cinéaste égyptienne Hayat El Jowaily.

La séance a débuté par la projection du court métrage Matar (2023) de Hassan Akkad dont l’acteur principal est Ahmed Malek, présent à ce panel.

Synopsis :

Matar suit l’histoire d’un demandeur d’asile en Angleterre qui, confronté au système d’immigration hostile du Royaume-Uni, est contraint de vivre en marge de la société et de dépendre de son vélo pour survivre en tant que livreur.

Que signifie utiliser le cinéma comme un outil de changement?

Mabel Evans :

Faisant partie de l’équipe du film Matar, nous souhaitions un impact sur l’équipe de tournage et sur la communauté cible concernée par le film. Nous voulions également démontrer qu’il est absurde de vouloir expulser les réfugiés qui souhaitent travailler. S’ils veulent contribuer, c’est un avantage pour tout le pays. Nous avons lancé une campagne contre un projet de loi anti-immigration. Notre objectif était de présenter les réfugiés sous un visage humain. En tant que cinéaste britannique, je voulais que mon travail ait un impact sur ma société. Toute l’équipe du film se demandait comment utiliser ce film pour contre ce projet de loi injuste et comment raconter d’autres histoires qui pourraient avoir un impact sur les gens. Matar a été montré à plein de gens, aux livreurs, aux immigrés, aux politiciens… et l’année prochaine, il va aller devant le parlement britannique. En montrant une certaines réalité, ce film pourrait contribuer à changer les choses.

Il y a aussi un projet avec l’Académie britannique des arts de la télévision et du cinéma (BAFTA) pour aider de futurs cinéastes à faire des films à impact important.

Ahmed Malek :

En tant qu’acteur ayant incarné de nombreux personnages, je considère qu’en Occident, un personnage d’émigrant est une personne avec des rêves, pas simplement un émigrant. L’art peut-il changer la réalité? En tant qu’artiste, ma mission est de transmettre l’expérience humaine et de laisser le spectateur décider. En tant qu’acteur, je n’adopte rien de spécial lorsque je joue un émigrant. Pour moi, c’est une histoire humaine comme une autre.

C’est en voyageant que j’ai commencé à me poser des questions sur mon identité, une réflexion que je n’avais jamais entreprise en Égypte. J’ai compris mon identité en allant en Occident, confronté aux questions et au cadre qui me sont imposés.

Avant, nous arabes, étions considérés comme des terroristes, puis des émigrants, et je ne sais pas ce que nous deviendrons après le 7 octobre. J’ai essayé de m’éloigner de ces stéréotypes, et je pense que cela n’est possible qu’en incarnant des personnages en tant qu’êtres humains tout simplement. Les occidentaux ne nous voient que comme des chiffres, pas comme des humains. Ce que je peux faire, c’est leur dire que je suis un être humain, même si je viens d’une certaine région.

El Gouna 2023

Sylvain Georges :

Comment raconter des histoires? Comment les choisir? Je n’ai jamais considéré l’impact de mes films. Pour moi, prendre une caméra, c’est me redéfinir et définir ma position par rapport au monde. C’est un processus, un mouvement. Je travaille beaucoup pour comprendre ce qu’est l’émigration en France, en me concentrant sur les banlieues où les gens sont discriminés. Un film n’est pas seulement une distraction, mais propose également un nouveau point de vue, un angle différent. Pour moi, les documentaires sont un moyen d’aider les gens à comprendre les autres.

J’ai un film sur les migrants arrivant du Maroc bloqués en Espagne. Mon approche consiste à venir partager les expériences de ces migrants. Avec ce processus, on peut comprendre beaucoup de choses, pourquoi et comment les gens réagissent. Je suis très ouvert lorsque je commence un film, il évolue en fonction des événements. C’est une sorte de dialogue avec la réalité et les gens. Pour moi, c’est le sens profond d’un film, un témoignage de la vie de ces gens.

Mon intention n’était pas de faire un film sur les migrants, mais sur les règles occidentales en matière d’émigration, à travers le regard de ces migrants. J’ai essayé de rencontrer beaucoup de gens, en particulier ceux en transit et vivant dans la rue. Je me suis présenté, ai parlé du film que je voulais faire. J’ai montré des extraits de mes films précédents sur mon iPhone comme exemples, expliquant mes choix, notamment celui du noir et blanc. Certains ont accepté immédiatement, d’autres non. Certains sont revenus après un an. Il était important pour moi de passer du temps avec eux, d’instaurer un dialogue. Dans des endroits comme Calais, où les migrants sont nombreux, parfois les gens refusent de participer aux tournages, surtout ceux qui passent rapidement. J’ai essayé de passer beaucoup de temps, de construire des relations avec des personnes qui sont parfois devenues des partenaires, offrant un accès à des endroits que d’autres ne connaissent pas. Je fais un film aussi pour comprendre comment ces règles sont appliquées.

El Gouna 2023

Comment utiliser un Film pour Transmettre un Message ?

Habib Trabelsi

Certains réalisateurs visent un impact dès le début d’un film. Par exemple, Costa brava, Lebanon (2022) de Mounia Akl avait pour objectif de défendre l’écologie. Parfois, c’est après la réalisation du film que l’on réalise son impact sur les gens, ce qui est positif.

Certains films ont eu un grand impact même si ce n’était pas l’objectif initial du réalisateur. En ce qui me concerne, grâce aux films, je pense bien connaître la Palestine sans n’y avoir jamais mis les pieds. La Palestine était auparavant réduite à des chiffres de victimes, mais c’est grâce au cinéma palestinien que j’ai aujourd’hui une connaissance de l’histoire de la Palestine.

Les stars ont aussi un grand impact sur le public, ce qui fait que leur engagement pour certaines causes est très important et peut influer sur le comportement des gens et donc sur la société. Je me demande d’ailleurs même si tous les présents aujourd’hui sont venus à ce panel pour le sujet lui-même ou pour voir l’acteur Ahmed Malek ?

El Gouna 2023

Quels ont été les films arabes ayant eu le plus d’impact ?

Habib Trabelsi :

La plateforme Aflamuna, initialement dédiée à la distribution de films, a évolué pour étudier l’impact des films sur les gens et la société.

Quatre films ont eu un impact majeur, comme le révèle une étude disponible sur le site Aflamouna (en anglais) : A Present from the Past : 20 September (2016) de Kawthar Younis, Ouridou hallan (1975) de Said Marzouk, Days of Democracy (1996) d’Attiyat Al-Abnudi et Yomeddine (2018) d’Abu Bakr Shawky.

Par exemple, le film A Present from the Past : 20 September a eu un impact significatif sur les jeunes réalisateurs, démontrant qu’ils pouvaient réaliser un film de qualité et à succès avec des moyens financiers limités, un simple smartphone pouvant suffire, il a aussi contribué à changer les documentaires égyptiens, en encourageant les cinéastes à parler de leurs propres expériences personnelles et à se tourner vers leurs familles.

Le film Ouridou hallan/Je veux une solution a contribué à modifier la loi sur le divorce en Égypte, et a donc eu un impact considérable sur la vie des Égyptiennes.

El Gouna 2023

Les feuilletons ont également eu un impact significatif sur le comportement des gens. Par exemple, Lih la 2 (2020), réalisé par Mariam Abu Ouf et écrit par Mariam Naoum, abordant le thème de l’adoption, a eu un impact énorme en Égypte, transformant les mentalités et les comportements envers l’adoption, incitant des familles égyptiennes à se tourner vers les orphelinats pour adopter des enfants.

De même, le feuilleton Taht il Wissaya/Sous la tutelle (2023), écrit par Khaled et Shyrine Diab, réalisé par Mohamed Shaker Khodaira, a donné lieu à un projet de loi visant à provoquer des changements dans le système juridique de la garde d’enfants mineurs et leur tutelle.

On pourrait également citer le feuilleton Faten Amal Harby (2022), réalisé par Mohamed Gamal Al Adl et écrit par Ibrahim Issa, traitant du divorce en Égypte et de la lutte juridique des épouses pour la garde et la tutelle des enfants mineurs. Ce feuilleton a eu un impact majeur sur la société égyptienne, en partie grâce au Conseil National de la Femme, relayant quotidiennement sur Facebook des conseils juridiques aux femmes à la fin de chaque diffusion d’un épisode, en utilisant le feuilleton comme exemple.

Il est évident que les médias aussi jouent un rôle crucial. Dans l’univers du cinéma, les médias ne font pas que parler des films, ils sont comme des chefs d’orchestre qui amplifient leur impact. Ils critiquent, analysent et créent de l’excitation avant la sortie des films. Les médias aident à comprendre comment ces histoires s’insèrent dans notre monde. Ils sont aussi des agents de changement, relayant les messages qui font réfléchir et influençant la façon dont nous percevons les choses. En somme, les médias ne sont pas simplement des messagers, ils sont les architectes de l’impact des films sur nos vies.

El Gouna 2023

Ce panel a offert une plongée captivante dans le monde du cinéma impactant, soulignant son potentiel pour changer les perceptions et influencer positivement la société. Chacun des intervenants a apporté une perspective unique, illustrant comment le cinéma peut être un moyen puissant de catalyser le changement social et culturel.

Neïla Driss

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