El Gouna 2023 – Être arabe à l’étranger : une représentation recadrée

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La 6ème édition du Festival du Film d’El Gouna (GFF), qui se déroule exceptionnellement du 14 au 21 décembre 2023, a été marquée par un panel captivant intitulé « Etre arabes à l’étranger : une représentation recadrée ».

Les intervenants, éminents dans leurs domaines respectifs et ayant tous une carrière internationale, ont abordé des questions cruciales sur la manière dont les Arabes sont représentés dans l’industrie cinématographique mondiale.

Le panel, animé par Marya Bangee, réunissait des personnalités telles que l’acteur égyptien Amir El Masry, qui a brillé de plus en plus à l’étranger avec des rôles notables dans des productions internationales telles que la série Netflix The Crown (saison 5 – 2022), le film Star Wars, Épisode IX, The rise of Skywalker (USA – 2029) et le film Limbo (GB – 2020). Aux côtés d’Amir, Manal Issa, une actrice libanaise ayant joué dans des films occidentaux tels que Peur de rien (France – 2016) et The Swimmers (GB – 2022), une consultante culturelle renommée, Nourhan Tewfik, et Rhonda Raguab la CEO de SILA Consulting, ont partagé leurs perspectives uniques.

Amir En Masry a introduit la discussion en rappelant que c’est Omar Sharif qui a été le premier acteur Arabe à s’illustrer à l’étranger dans le film Lawrence d’Arabie (GB – 1962). Cependant, il a souligné que cette percée n’a malheureusement pas débloqué la diversité des rôles pour Omar Sharif, le cantonnant très souvent à des personnages d’arabes.

Manal Issa a renchéri en abordant la représentation souvent négative des Arabes dans les films occidentaux, stigmatisés en tant que terroristes, brigands ou extrémistes. Malgré cela, elle a noté une visibilité croissante pour les Arabes, mais a insisté sur la nécessité de changer ces stéréotypes.

Nourhan Tewfik a souligné le pouvoir des Arabes grâce au streaming, soulignant le changement significatif qu’a apporté l’accès aux plateformes de streaming. Avant, les Arabes étaient limités aux choix des distributeurs locaux, mais désormais, ils ont le pouvoir de dire ce qu’ils aiment et veulent voir. Cela, selon Marya, représente une force considérable, car les plateformes de streaming ont un intérêt à vendre leurs abonnements dans le monde arabe, elles vont donc être de plus en plus attentives aux désirs et attentes de ces spectateurs arabes.

Nourhan a apporté une perspective critique, dénonçant les clichés persistants tels que la représentation inappropriée de chameaux ou d’appels à la prière dans les films, et l’incohérence linguistique qui voit un Arabe parler un dialecte ne correspondant pas à son personnage, par exemple un acteur censé incarner un algérien et qui parlerait le dialecte égyptien. Il est évident que les spectateurs occidentaux ne verraient pas la différence, mais cela reste incongru et inapproprié. Elle a souligné l’importance de l’authenticité et de la fidélité à la diversité linguistique arabe.

Marya a soulevé la question de l’influence potentielle de la guerre de Gaza sur la représentation arabe dans le cinéma. Manal a partagé ses préoccupations quant à un possible biais narratif, citant le projet de Steven Spielberg sur le 7 octobre et plaidant pour une préparation à une potentielle guerre cinématographique.

Manal a souligné : « J’ai entendu dire que Steven Spielberg va faire un film sur les évènements du 7 octobre 2023, et bien sûr, cela sera subjectif et collera au narratif israélien. Je pense que nous devons faire en sorte de raconter le 6 octobre, la guerre entre Israël et la Palestine n’a pas commencé le 7 octobre, mais il y a bien 75 ans d’occupation et de mauvais traitements avant. Je pense qu’une guerre cinématographique se prépare et il va falloir y faire face. »

Amir a évoqué la nécessité d’humaniser les Palestiniens. Ceux-ci ne sont pas des chiffres ou des terroristes. Il pense qu’il est nécessaire de rencontrer des palestiniens, pour apprendre d’eux et pouvoir ainsi bien les représenter. Il a par exemple cité le journaliste palestinien Motaz, qui malgré la perte de sa famille, continue à raconter leurs histoires. Motaz et bien d’autres palestiniens continuent, malgré les dangers, les bombardements, la faim et la soif, à raconter tous les jours la vie quotidienne des gazaouis lors de cette guerre meurtrière. Il a souligné le devoir des artistes de trouver des moyens de donner une voix à ces personnes qui souffrent.

El Gouna 2023

Nourhan a expliqué le métier et le rôle crucial d’un consultant culturel sur un plateau de tournage, insistant sur son implication dans la garantie de l’authenticité à travers des conseils sur les langues et divers dialectes, les costumes, le maquillage, les traditions…. Elle a partagé des expériences de fierté, notamment dans la série The Crown, où les dialogues du personnage égyptien étaient écrits en égyptien. Cela a été une bataille remportée par son équipe, qui a imposé que les personnages arabes parlent arabes, mais qu’en plus leurs répliques soient carrément écrites en arabes, et non pas traduites de l’anglais, pour donner justement plus d’authenticité. Elle est également fière aussi que la série ait donné de l’importance à Dodi Al Fayed, qui est lui aussi décédé avec Lady Diana, et qui a pourtant été ignoré par la presse pendant de longues années.

Nourhan a également précisé que le consultant culturel donne aussi un avis sur le casting et sur les spécialistes auxquels la production fait appel pour leurs conseils, comme par exemple un égyptologue pour un film sur l’Égypte ancienne.

Le consultant culturel intervient aussi dans la communication et le merchandising. Il regarde par la bande annonce d’un film ou d’une série et donne son avis, par exemple sur une mauvaise interprétation qui pourrait être faite. Il pourrait aussi être consulté sur l’affiche et autres produits de communication. Il s’occupe aussi des divers produits dérivés, comme par exemple pour la poupée du personnage de Yasmin de Disney. Il fallait lui donner le bon teint, qui corresponde à celui d’une arabe. Le teint « Qamhi » plus précisément, un teint que les occidentaux ne connaissent pas, donc il a fallu procéder à plusieurs essais, jusqu’à trouver le bon teint, ni trop clair, ni trop foncé.

Le consultant culturel s’occupe aussi de la musique, qui est très importante. Pareil, elle doit correspondre au pays en question. Les diverses musiques arabes sont différentes d’un pays à l’autre, et d’ailleurs au sein d’un même pays, elles peuvent aussi différer d’une région à une autre ou d’une occasion à une autre.

Quat à Manal, elle a partagé une expérience négative avec Netflix lors du tournage du film The swimmers, dénonçant un traitement discriminatoire envers les acteurs arabes lors du tournage et même lors de la campagne promotionnelle du film, soulignant le besoin pour l’Occident de respecter les cultures arabes et de reconnaître l’importance de la représentation authentique.

Manal a également exprimé des inquiétudes quant à l’avenir sombre de la représentation arabe dans le cinéma mondial : « Je pense que l’avenir est très sombre. Il va falloir lutter très fort pour la représentation des arabes dans le cinéma mondial. A cause de la Guerre à Gaza il faut aussi penser à l’aspect financier. Il est évident que les financements des films arabes par les occidentaux vont se faire de plus en plus rares, voire inexistants. Il va falloir créer nos propres instances financières, pour financer le narratif des arabes, et montrer nos vraies images et nos vraies histoires ».

La lutte pour une représentation positive des Arabes dans le cinéma mondial s’annonce ardue, mais nécessaire.

Neïla Driss

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