20 mai 1974 : Valéry Giscard d’Estaing, le plus jeune président de la République, élu à 48 ans

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Notre rendez-vous anniversaire « 80 ans du Parisien, 80 unes »

Le tout premier numéro du Parisien paraît le 22 août 1944, en pleine libération de Paris. Pour célébrer cet anniversaire, nous vous avons sélectionné 80 unes historiques ou emblématiques de leur époque. Sport, faits divers, conquête spatiale, élections présidentielles, disparition de stars… Elles racontent huit décennies d’actualité. Nous avons choisi de vous en raconter les coulisses. Une série à découvrir jusqu’à la fin de l’année.

La une du Parisien libéré — c’est alors son nom complet — du lundi 20 mai 1974, au lendemain de l’élection présidentielle, frappe par sa sobriété, purement factuelle : « Valéry Giscard d’Estaing élu président de la République avec 51 % des suffrages exprimés » — décompte achevé, le score ultra-serré sera de 50,81 %.

En surtitre, cette précision : « Record absolu de participation : 87,5 % ». À ce jour, et huit présidentielles plus tard, ce record – rectifié à 87,23 % très exactement — reste imbattu. Tout comme l’écart minime — environ 425 000 voix seulement — séparant le candidat de droite, vainqueur, du socialiste François Mitterrand, battu pour la deuxième fois à la présidentielle.

L’illustration aussi est sobre, à ce détail près que la photo noir et blanc de Giscard en pied le présente en frac sombre, nœud papillon blanc, ceint du collier de grand-croix de la Légion d’honneur… alors qu’en réalité les chefs d’État nouvellement élus se le voient remettre plus tard, lors de la cérémonie d’investiture.

Un petit montage donc, sans doute pour rehausser encore le prestige de celui qui était le favori implicite du journal. Or, ironie de l’histoire, le réformateur Giscard, devenant à 48 ans le plus jeune président de la Ve République — il sera vexé de perdre ce titre quelques décennies plus tard au profit d’Emmanuel Macron — décidera justement de moderniser le protocole, se contentant de se faire présenter le collier, sans le passer autour du cou !

VGE incarne « la continuité dans le changement »

Favori du journal ? Le Parisien Libéré est alors, avec France-Soir, un grand journal populaire diffusé à 600 000 ou 700 000 exemplaires chaque jour, un quotidien d’information générale et locale – francilienne – pas un journal d’opinion. « La politique n’arrive qu’en huitième position, avec 6 à 7 % de la place accordée dans ses pages, rappelle l’historien des médias Christian Delporte. La priorité va aux faits divers, au sport, aux courses, à l’info locale… »

Et pourtant, si l’on consulte la une du samedi 18 mai, veille du second tour (à l’époque le journal ne paraissait pas le dimanche), surprise : entre les photos des deux rivaux — où Mitterrand paraît à son net désavantage — figure un court texte intitulé « Françaises, Français, souvenez-vous ».

Quelques lignes qui dramatisent le choix entre deux hommes et, surtout, deux types de société : « M. Mitterrand » représentant « les pays socialistes — quel Français voudrait y vivre ? » ; « M. Giscard d’Estaing » incarnant « la continuité dans le changement et la stabilité, gage de l’expansion ». Pour le quotidien populaire, le choix était clair.

« Le journal est conservateur parce que son patron, Émilien Amaury, est conservateur… et très interventionniste, il impose des titres et des unes, pointe l’historien. Il est gaulliste, et à ses yeux Giscard défend l’héritage du Général, alors que Mitterrand en est l’ennemi. Le Parisien n’est pas un journal militant, mais, quand il le faut, il indique le chemin. »

Et d’ailleurs, Amaury aurait sans doute préféré le résistant Jacques Chaban-Delmas, plus représentatif de la vieille famille gaulliste, mais celui-ci a été éliminé au premier tour.

Le président de 48 ans veut dépoussiérer la société

En pages intérieures, le portrait consacré au nouveau président insiste sur sa jeunesse. Il est vrai que l’arrivant à l’Élysée, qui était peu connu des Français malgré ses nombreuses années au ministère des Finances, passait pour un technocrate froid et distant. Une image dont il avait fait un atout dans sa campagne éclair.

Valéry Giscard d’Estaing (à gauche) et le président américain Gerald Ford (au centre) lors d’un sommet franco-américain en Martinique en 1977.
Valéry Giscard d’Estaing (à gauche) et le président américain Gerald Ford (au centre) lors d’un sommet franco-américain en Martinique en 1977. AFP

Après un de Gaulle vieillissant dépassé par Mai 68, après surtout le mandat inachevé de Georges Pompidou, terrassé le 2 avril 1974 par un cancer du sang, VGE n’aura de cesse d’afficher sa belle santé, posant en skieur à Courchevel (Savoie), en footballeur tombant le maillot sur le terrain, torse nu (et poilu) au bord d’une piscine avec son homologue américain Gerald Ford à un sommet en Martinique…

Valéry Giscard d’Estaing s’est plusieurs fois mis en scène en train de faire du sport comme ici en 1973 pour un match de football.
Valéry Giscard d’Estaing s’est plusieurs fois mis en scène en train de faire du sport comme ici en 1973 pour un match de football. AFP

Soutenu par des stars comme Johnny Hallyday, Brigitte Bardot ou Alain Delon, le candidat veut dépoussiérer la société, promet la légalisation de l’IVG (interruption volontaire de grossesse), l’instauration du divorce par consentement mutuel, l’abaissement de l’âge de la majorité de 21 à 18 ans, etc. « Giscard à la barre ! » le slogan des jeunes giscardiens fait florès.

« Voici donc élu un président de 48 ans, écrivait notre journal. Cet aboutissement précoce d’une destinée bénie des dieux n’est sans doute pas pour surprendre le brillant sujet Valéry Giscard d’Estaing, polytechnicien, énarque, et qui fut, à 36 ans, le plus jeune de nos ministres des Finances. »

L’article rappelle que le magazine américain Newsweek l’avait surnommé le « Kennedy gaulois ». Giscard, qui avait rencontré le président américain et admirait son dynamisme, s’inspirera de lui pour mener sa campagne, se montrant bien plus à l’aise à la télévision que son adversaire. Notamment lors du duel d’entre-deux-tours (une première historique) avec sa fameuse formule sur le « monopole du cœur ».

Pour humaniser son image hautaine, lui qui veut « regarder la France au fond des yeux » sillonne le pays au volant de sa DS, alterne meetings et parties de pétanque, n’hésite pas à pousser un coup d’accordéon (il a appris à en jouer à l’armée où il s’est engagé en 1944 à la Libération, combattant en Allemagne jusqu’à l’armistice de 1945).

Surtout, il est le premier à embarquer sa famille, à l’américaine, sur son affiche de campagne. Celle avec sa fille Jacinte, âgée de 14 ans, restera célèbre. « J’ai voulu que ma fille soit présente sur les affiches, car je trouve qu’une photographie de moi tout seul aurait fait triste », justifiera-t-il drôlement.

Le « président incompris »

À Chanonat (Puy-de-Dôme), le fief familial, le reporter du Parisien interroge Edmond Giscard d’Estaing, le père de Valéry. La campagne électorale, dit-il, « c’est une épreuve physique fantastique. Il l’a bien surmontée, à peine a-t-il un peu maigri ». Le journal a aussi passé ce jour de vote avec le perdant, François Mitterrand, qui le décrit « derrière les volets clos » de son hôtel du Vieux Morvan à Château-Chinon (Nièvre), « éprouvant les affres de l’homme seul face à son destin ».

« Si Le Parisien a pris position la veille de l’élection, c’est parce qu’il y a une vraie peur de voir la gauche arriver au pouvoir, avec les communistes, reprend Christian Delporte. Cette crainte est beaucoup plus forte qu’en 1981, car entre-temps le PS de Mitterrand aura assuré sa domination sur le Parti communiste. » Dans ces années-là, Émilien Amaury est en conflit dur avec le syndicat des ouvriers du livre (les imprimeries), ce qui raidit encore sa ligne. Le 10 mai 1981, la gauche de Mitterrand prend sa revanche, la Ve République connaît sa première alternance.

Près d’un demi-siècle plus tard, le 3 décembre 2020, le visage de VGE, décédé la nuit précédente des suites du Covid, à 94 ans, prendra toute la une du Parisien : « Giscard, un destin ». Le journal saluant, sous la plume de son directeur d’alors, Jean-Michel Salvator, un « président incompris » et « un peu oublié » des Français.



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