110 ans de la mort de Péguy : «La volonté de s’approprier son œuvre ne date pas d'hier»

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ENTRETIEN – De plus en plus de personnalités publiques s’emparent de Charles Péguy, constate Dominique Ancelet-Netter, qui regrette que l’auteur reste largement méconnu.

Dominique Ancelet-Netter est membre du conseil de direction de l’Amitié Charles Péguy, association créé en 1942, et ayant pour but de faire mieux connaître son œuvre.

LE FIGARO. – 110 ans après la mort de Péguy, le 5 septembre 1914, avez-vous l’impression que ses écrits suscitent un regain d’intérêt ? 

Dominique ANCELET-NETTER. – Je remarque que de plus en plus de politiques, d’éditorialistes et de personnalités médiatiques se sont emparés ces dernières années de Péguy. Mais souvent, ils ne font que le citer, en reprenant de courts extraits de ses textes… Alors que sa pensée se déroule au contraire sur des longues phrases, qu’il faut prendre le temps de lire, et d’intégrer… Du reste, plusieurs rééditions de ses œuvres en format poche ont vu le jour récemment, ce qui est toujours un bon signe et une marque d’intérêt. Dans le domaine de la recherche aussi, Péguy continue à faire l’objet de thèses et d’études. 

Beaucoup d’écoles se nomment « Charles Péguy» en France, pour autant les écoliers savent-ils vraiment qui il était ? 

C’est vrai, et ce sont d’ailleurs aussi bien des écoles publiques que des écoles privées, ce qui est assez rare pour être souligné ! Cela est sans doute dû en partie à sa mort brutale sur le champ de bataille, en 1914, ainsi qu’à sa défense farouche d’une l’école laïque et obligatoire. Péguy a beaucoup rendu hommage à ses maîtres d’école dans ses écrits. Il était lui-même le pur produit de la méritocratie républicaine : fils d’une rempailleuse de chaise et orphelin de père, il a pourtant été admis à l’École normale supérieure lors de sa troisième tentative… avant d’en démissionner pour fonder une librairie et sa propre revue, les Cahiers de la Quinzaine. 

Quant au fait que Péguy soit méconnu : on enseigne généralement à l’école ses poèmes, comme le célèbre « Adieu à la Meuse », mais au-delà, son œuvre est souvent considérée comme trop complexe. C’est dommage, car j’ai pu constater que lorsque les élèves découvrent Péguy, ils sont souvent éblouis : Il y a certainement encore beaucoup à faire pour la diffusion de son œuvre auprès du jeune public. 

Le fait que Péguy soit mort en héros, sur le champ de bataille, a-t-il déformé selon vous la lecture que l’on fait aujourd’hui de ses textes ? 

C’est un débat. Certains vous diront que sa mort brutale en 1914 était sacrificielle, et qu’il faut dès lors relire Péguy dans une vision patriotique, voire nationaliste. Il est vrai qu’il avait publié peu de temps avant son décès « L’Argent », un essai dans lequel il tient des propos très belliqueux vis-à-vis de l’Allemagne. Mais il faut à cet égard rappeler le traumatisme, pour cette génération, de la guerre franco-allemande de 1870. D’autres vous diront au contraire que l’œuvre de Péguy est tellement foisonnante, et touche à tellement de domaines différents, que sa mort à elle seule ne peut pas résumer toute sa vie. Personnellement, je trouve qu’il est un génie de la langue française.

Péguy était très critique vis-à-vis du monde moderne. Cette mise en garde est-elle encore d’actualité selon vous ? 

De fait, il avait perçu le danger de certains phénomènes comme le transhumanisme par exemple. Après, je n’aime pas faire parler les morts, et Péguy est, quoi qu’on en dise, un homme d’un autre siècle. Je crois néanmoins que la lecture de ses textes permet de s’ancrer dans un certain nombre de principes, et qu’elle peut aider à rechercher la vérité.

Craignez-vous les récupérations politiques de Péguy ? 

Bien entendu, je me bats contre toutes les récupérations à l’emporte-pièce, quand elles ne montrent qu’un versant de son œuvre. Mais cette volonté de s’approprier Péguy ne date pas d’hier, et avait déjà commencé de son vivant ! Du reste, Péguy est un auteur insaisissable. C’est en ce sens qu’il est pour moi un génie. Il est possible d’en avoir des lectures différentes. Chacun peut avoir son propre Péguy, d’une certaine façon. 

Il parlait beaucoup dans ses textes de l’espérance, « cette petite fille de rien du tout ». Quelle forme peut-elle prendre ?

L’espérance, c’est que la littérature sauve, et qu’elle sauvera le monde. Cela peut paraître assez grandiloquent, mais je crois au pouvoir des textes et des mots, et c’est aussi ce que dit Péguy. De façon plus large, on peut bien entendu parler de sa foi : elle a beaucoup influencé son œuvre. Mais il ne faudrait pas pour autant le réduire à un auteur catholique. Car Péguy a embrassé tellement de sujets différents… Il ne faut pas passer sous silence sa spiritualité bien sûr. Mais rappelons qu’il était un chrétien anticlérical : il ne s’est pas marié religieusement, il ne communiait pas ; et pour autant il avait une foi profonde. 

Pour découvrir Péguy, quelle est la meilleure porte d’entrée, d’après vous ? 

Cela dépend de l’âge ! Pour les plus jeunes, je démarrerais par « Pierre, Commencement d’une vie bourgeoise ». Ou bien la « Ballade du cœur qui a tant battu ». Certains aiment bien aussi piocher dans ses textes, comme dans une bible. Il n’y a pas une seule approche valable. Par contre, je recommande à tous de le lire à haute voix : cela permet de s’imprégner au mieux du texte. Souvent on lit en diagonale : cela n’est pas possible avec Péguy, car chaque phrase compte.


Une commémoration des 110 ans de la mort de Charles Péguy aura lieu ce dimanche 8 septembre à Villeroy, à partir de 10h. Plus d’informations sur le site de l’Amitié Charles Péguy.



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